À nous deux maintenant (Capdevielle/Nanterre Amandiers)

(quand on ne lit pas la bible)

Pièce rétrofuturiste dans laquelle Jonathan Capdevielle, à l’aide d’une machine à voyager dans le temps, retourne dans le New York du début des années 80 et recherche Louise Ciccone désespérément.

 

(de quoi ça parle en vrai)

Jonathan Capdevielle s’empare d’Un crime, écrit par Georges Bernanos en 1935, et le tire vers les questions qui peuplent son univers théâtral. Dans ce polar qui se détache du réalisme du roman policier classique, l’enquête tourne autour de la figure énigmatique du curé de Mégère, personnage aussi trouble que charismatique. Nouveau venu dans une petite bourgade des Alpes, le jeune prêtre subjugue autant les habitants du village que le juge chargé de mener l’enquête. Sous la soutane, se devine un individu habité par un besoin absolu d’identité. (site de Nanterre Amandiers)

 

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Crédits photos : Pierre Grosbois

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Le spectacle se mérite. Il est moins évident, en tout cas pour moi, que les deux précédentes pièces de Jonathan Capdevielle, Adishatz/Adieu et Saga et je me suis quelque peu perdu dans cette histoire de crime.

Tout commence une nuit… Donc sur scène (et dans le public) il fait nuit, il fait noir. Pendant plus de vingt minutes. Je n’ai pas regardé ma montre, parce que je n’en ai pas et qu’il faisait noir, mais c’est sur ma liste pour mon anniversaire le 16 décembre, je passe ce message par hasard… Oui, bon, ok, j’ai légèrement somnolé. On écoute. On est absorbé par l’atmosphère sonore gérée depuis la scène même. Mais c’est grâce aux éléments comme les travestissements physique et vocal, éprouvés par l’ensemble de la distribution (satisfecit pour le troublant et indéfinissable Dimitri Doré) et qu’on retrouvait dans les oeuvres passées de Capdevielle ou bien le retour à lui, à Capdevielle lui-même et à ses obsessions qu’il nous intéresse le plus, qu’il m’intéresse le plus.

 

vu le dimanche 26 novembre 2017 au théâtre Nanterre Amandiers

Prix de la place : 15,5€ (abonnement Festival d’Automne)

 

À NOUS DEUX MAINTENANT

Conception, adaptation et mise en scène Jonathan Capdevielle

D’après le roman « Un crime » de Georges Bernanos

Avec Clémentine Baert, Arthur Bartlett Gillette (en alternance avec Jennifer Hutt), Jonathan Capdevielle, Dimitri Doré, Jonathan Drillet, Michèle Gurtner

Conseiller artistique, assistant à la mise en scène Jonathan Drillet – Conception et réalisation scénographique Nadia Lauro – Lumières Patrick Riou – Musique Arthur Bartlett Gillette – Réalisation de la bande son et régie son Vanessa Court – Collaboration informatique musicale Ircam Manuel Poletti – Costumes Colombe Lauriot Prévost – Régie générale Jérôme Masson – Regard extérieur Virginie Hammel

Jusqu’au 3 décembre 2017 au théâtre Nanterre Amandiers (dans le cadre du Festival d’Automne)

 

(une autre histoire)

Je me baladais en chantant la la la, dans le parc jouxtant le théâtre des Amandiers. Aucune navette en ce dimanche après-midi. J’ai le temps, la pièce est à 17h30.  Deux vieilles dames me demandent la direction du théâtre. Je leur indique la direction opposée. J’arrive, je fais la bise à une amie occupante, je guette une connaissance qui ne viendra jamais. Je lis que la durée du spectacle est de 2h50 environ. Mazette, j’avais pas lu sur le site 2h ? Mais c’est qu’à 19h45, je dois recevoir l’appel dominical de ma grand-mère paternelle ! Mais c’est qu’à 19h49, je dois ensuite appeler ma mère pour l’appel dominical du dimanche de fin de semaine ! Comment vais-je faire ? 2h50 sans entracte. Je calcule… Je vais rentrer à quelle heure, moi ? En fait la pièce durera trois heures. A la sortie, je croiserai celle avec qui j’ai vu « Julia » de Christiane Jatahy il y a quatre ans au Centquatre. Quatre ans déjà… Elle me voit, je la vois. Je ne la salue pas. On n’est plus amis Facebook, c’est pour ça. Non, c’est pas pour ça. Bien évidemment. Merde. Pourquoi ça tourne encore dans ma tête ? Je m’enfuis par le parc. Il fait nuit. Je croise les deux vieilles qui cherchent encore le théâtre. Comme j’ai passé trois heures au théâtre, THÉÂTRE THÉÂTRE THÉÂTRE, ma barbe a incroyablement poussé. Elles ne me reconnaissent pas. RER A RER B Métro 5. J’écoute l’album de Courtney Barnett et Kurt Vile. Je lis José Sarramago : « A nous deux maintenant », lui lancé-je. Je fais un clin d’oeil à mon livre de poche, caresse la couverture. Les gens autour me regardent. Bizarrement. Je leur dis qu’ils sont dans ma tête et que c’est typiquement le genre d’histoire dans laquelle je ne sais pas quoi raconter. Parce que je ne veux pas parler de celle que j’ai revue à la sortie du théâtre et de qui j’ai encore le goût de ses seins sur ma langue.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

La face cachée de la lune (Ex Machina / La Villette / Théâtre de la Ville)

(quand on ne lit pas la bible)

Un flamant rose monte dans le ciel, tellement haut qu’il atteint la lune et se fait happer par un Transformer qui se cachait dans la face cachée de la lune. C’est un spectacle de marionnettes.

 

(de quoi ça parle en vrai)

Yves Jacques interprète le solo historique de Robert Lepage. Revisitant son enfance et son adolescence, l’auteur remonte la conquête de l’espace jusque dans les années 1970. Il se souvient de la diffusion de ces premières images du côté de la Lune que l’on ne voit pas depuis la Terre, de l’euphorie générale suivie du désintérêt progressif pour le sujet. Sur ce tableau mi-nostalgique, mi-poétique, il tisse une pièce chorale. Il y a l’histoire de ces deux frères frappés par le décès de leur mère, le récit d’une réconciliation, le voyage du cosmonaute russe Alexei Leonov et sa solitude face à l’immensité. Dans une installation vidéo loufoque, un autre personnage, s’imaginant parler à des extra-terrestres leur raconte la vie sur Terre. La Lune c’est tout cela, cet espoir teinté de mélancolie et de promesses. (site de la Villette)

 

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Crédit photo : David Leclerc

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

C’est le quatrième spectacle de Robert Lepage vu de moi et de mes yeux, après « Le moulin à images » (son et lumière pour le 400e anniversaire de la ville de Québec), « 887 » (un bijou sensible nostalgique) et « Jeux de cartes 1 : Pique » (qui ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable). Il date de 2000 et est présenté dans le cadre du Québec à la Villette. Je ne sais pas ce qu’il en était pour les critiques datant de l’année de sa création, mais je pense qu’on peut dire que les mots « inventivité », « poésie » sont ceux qui reviendraient aujourd’hui le plus souvent. Et cela est tellement vrai. (si je le dis, c’est que c’est vrai). Tout est présenté avec délicatesse et on s’étonne presque que tout soit aussi fluide, alors que tout est fait de bric et de broc, entre la marionnette de l’astronaute, le hublot multi-usages de la machine à laver ou « ceci n’est pas une planche à repasser », l’emploi des miroirs qui donne lieu à une des plus merveilleuses scènes que j’ai pu voir ces dernières années (exagèré-je ? ou bien est-ce mon côté marseillais qui ressort, à défaut de l’accent) (comme une envie de chanter du Calogero).

C’est que la période qui est dépeinte a dû compter pour bon nombre de Nord-Américains (et pas que) : la conquête de l’espace, USA vs URSS, Gagarine, Armstrong et les autres. Robert Lepage avait douze ans en juillet 1969, pratiquement le même âge qu’Yves Jacques qui porte à lui tout seul ou presque le spectacle (avec l’aide d’un marionnettiste et de régisseurs plateau), le marque de son intelligence de jeu, sa générosité et sa drôlerie.

C’est l’histoire d’une petite histoire dans la grande histoire, de deux frères, d’un poisson rouge, des étoiles, d’une solitude certaine et de l’imaginaire.

 

vu le jeudi 29 novembre 2017 à la Grande Halle de la Villette (Hors les murs – Théâtre de la Ville)

prix de la place : 12€ (tarif obtenu grâce à une amie qui travaille à la Villette)

 

LA FACE CACHÉE DE LA LUNE

conception & mise en scène Robert Lepage

interprétation Yves Jacques

une production Ex Machina

jusqu’au 2 décembre 2017 à la Grande Halle de la Villette

 

(une autre histoire)

Ma vue est relativement bonne, voire excellente. Mes résultats en sciences et autres mathématiques sont proches de la perfection. La modestie est mon maître mot, je précise. Quand j’étais petit, la première histoire qu’on me raconta fut celle de Jules Verne, « De la Terre à la Lune ». Dans ma chambre, j’ai toujours eu cette affiche du film de Méliès. Notre chienne s’appelait Laïka. Le jour de mes dix ans, on m’a offert un téléscope qui a été immédiatement cassé par le fils de mon parrain. A défaut de voir les étoiles, j’ai vu ma voisine se déshabiller tous les soirs, les rideaux ouverts, comme si elle se donnait en spectacle. Mon zizi était rendu tout dur. Au début, je ne savais pas trop ce qu’il m’arrivait. Mais ce n’était qu’au début.

Moi, quand j’étais petit, c’est pas pilote de ligne que je voulais faire ni vétérinaire, mais astronaute ou cosmonaute. J’ai jamais trop su la différence, mis à part l’opposition Américains vs Soviétiques. J’ai toujours tenu Rocky IV comme un de mes films préférés, mais ça, c’est une autre histoire. Mais le rêve se brisa quand… quand… je sus que je ne pourrai devenir ce que je rêvais d’être. Mon drame intime se produisit à Eurodisney, l’année de sa création, j’avais onze ans. Tout se passait à merveille, même si je n’avais pas encore croisé Mickey ou Pluto. Tic et Tac voulaient être pris en photo avec moi, je refusai : ma mère m’avait interdit de manger des bonbons avant midi. Je fis la queue pour le manège avec les tasses de thé géantes, je montai dans l’une d’entre elles, l’attraction se mit en branle. (après avoir fait la queue, c’était la moindre des choses… mazette, j’oublie que je n’avais que onze ans… pardon). Je me sentis tout de suite patraque. Ce n’était pas ce que j’avais mangé, ce n’était pas mon chocolat au lait froid du matin (je détestais le prendre chaud, parce qu’il fallait toujours enlever la crème du lait qui tombait de la casserole, d’ailleurs rien que d’y penser… brr…). Je voulus sortir immédiatement, ce qui était bien évidemment interdit. Je pris mon mal en patience, mis ma tête entre mes jambes (j’étais encore très souple), fis tout pour que mes cousins ne se noient pas dans mon vomi. A la sortie, on me tendit un gobelet : « Si tu vomis, vomis là-dedans ». Ce que je fis, mais je ne renversai rien. Le gobelet n’avait pas de fond. Je regardai à l’intérieur quand j’eus fini et vis mon avenir : je resterai seul, en bas des attractions, pendant que ma douce serait courtisée par un bellâtre sur une attraction qui s’appellerait l’Anaconda et je travaillerai dans un magasin spécialisé dans la vente de Legos.

La prochaine fois, je parlerai de mon mal de mer qui m’a empêché de devenir capitaine. Parce que quand j’étais petit, on me lisait « 20 000 lieues sous les mers » et…

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Girls in Hawaii au Trianon

(introduction)

Hier après-midi, j’ai reçu un courriel m’informant du concert de Olafur Arnalds au Trianon en mai prochain. Olafur Arnalds… Je connaissais sans connaître. Puis une amie que j’avais retrouvée en Islande il y a quatre ans, avait eu la bonne idée d’avoir avec elle un de ses Cd. Nous l’avons écouté en boucle, littéralement, entre Reykjavik et Jokursarlon, aller et retour. À notre retour dans la capitale, je suis resté seul pour assister au festival Iceland Airwaves durant lequel je revis le groupe belge Girls in Hawaii. Le hasard fit aussi que je pris le même avion de retour que le groupe.

Hier après midi j’ai acheté une place de concert pour Olafur Arnalds au Trianon sans me rendre compte que j’allais voir Girls in Hawaii dans cette même salle, sans me souvenir de ces passerelles-là, jusqu’au moment où les premières notes de « Flavor » vinrent me chatouiller les tympans.

(préambule)

Il y en a combien de groupes que je vois et revois sans me lasser, qui me donnent des frissons sans parler des larmes aux yeux ? Sur les doigts d’un main, ça se compte : Karkwa, Patrick Watson, Radiohead, Girls in Hawaii. Je n’ai que quatre doigts.

(avant-propos)

Dis Antoine, tu penses à quoi (à qui ?) quand tu rentres sur scène ? Dis Lionel, tu penses à quoi quand tu nous regardes sur scène ?

(ceci n’est pas une critique mais…)

C’est avec une impatience non dissimulée (quatre ans d’attente) que je revois Girls in Hawaii, une histoire qui a démarré pour moi un soir d’été à Bruxelles, une verrine à la main (comprend qui pourra). Girls in Hawaii qu’on a envie de garder pour soi, qu’on ne veut pas voir prendre trop d’importance ni faire le Zénith ou Bercy. Pourtant on est les premiers à s’insurger de la relative indifférence dans laquelle sortent leurs albums en France. Ce soir le Trianon affiche complet, une autre date parisienne est déjà prévue au printemps prochain au Casino de Paris, pourtant GIH n’est peut-être pas aussi populaire qu’un DEUS. C’est peut-être cette discrétion qui fait que le groupe belge garde cette qualité d’un album à l’autre, tout en tentant de se réinventer, de s’aventurer dans de nouveaux sons comme le KylieMinoguesque « Walk » mais en conservant leur ligne mélodique et mélancolique avec « This light »

Sur scène, Girls in Hawaii tourne magnifiquement. Les chansons s’enchaînent bien, les membres du groupe arrivent à recréer la magie de leurs disques, en y ajoutant  l’âme et la profondeur qu’on peut attendre lors d’un concert, aidés par une belle création lumières, comme ça faisait longtemps que je n’en avais pas vu. Ici pas (trop ) de blabla. Les musiciens sont concentrés, une légère décontraction apparait ici et là. Leur musique appelle à l’évasion, la boîte à imagination de dedans notre tête fonctionne à plein tubes et pas un seul sera oublié : « Birthday Call », « Sun of the sons », « Not dead »…

Si vous ne connaissez pas Girls in Hawaii, je vous invite vivement à les découvrir, vous ne le regretterez pas.

prix de la place : 27,5€ (debout – fosse)

 

GIRLS IN HAWAII ( + SOLD OUT)

au Trianon

le mardi 28 novembre 2018

SETLIST : Flavor – This light – Indifference – Changes will be lost – Switzerland – Misses – Blue shape – Not dead – Found in the ground – Sun of the sons – Time to forgive the winter – Walk – Monkey – Road to Luna – This farm will end up in fire – Birthday call – Rorschach / Guinea pig – Colors – AM 180 (Grandaddy Cover)

 

(une autre histoire, écrite en écoutant Not Dead – This Light – Couples on TV – Plan your escape)

Il est six heures. Je commence les cours à huit heures. D’habitude, je prends un bus, puis le métro, puis le car entre Marseille et Aix. Mais ce matin je prends ma vieille Visa Citroën. Avec le starter, s’il vous plait. Genre tu dois te lever vingt minutes plus tôt pour faire chauffer la voiture. Je pose sur le siège passager mon magnétophone avec à l’intérieur une K7 de mes chansons préférées, parce qu’évidemment l’autoradio est cassé. Je pars. Autoroute Est. Il fait encore nuit. C’est plutôt calme. La voiture vibre alors que je ne suis pas arrivé à 90 km/h.

Pourquoi je fais tout ça ? Je veux dire… ça. Où cela va-t-il me mener ? J’aime pas ce que je fais. Je n’aimerai pas ce que je ferai. Un jour, j’aurai une convocation dans les mains et la possibilité d’aller à gauche ou à droite. Le chemin tout tracé ou le chemin de traverse semé d’embûches. Je choisirai la voie directe. Alors peut-être que tout se décide maintenant ? Si je ne sortais pas à Fenouillères, si je ne me garais pas au parking de la fac ? Si je prenais la sortie suivante et roulais en passant par l’ancienne route des Alpes. Je veux marcher. Je veux toucher les étoiles. Réservoir ok. C’est décidé, je ne m’arrête pas. Je fais ce que je veux. Et ce que je veux, maintenant, c’est… prendre de l’altitude. Pas besoin d’eau, y aura le ruisseau, y aura le torrent. Pas besoin de sandwich ou d’oeuf dur avec du sel sur le dessus, j’ai des réserves. Il est onze heures. Je gare la voiture dans ce village que je connais tant. Mais c’est la première fois que je viens en novembre. D’habitude, c’est l’été (alors je passe mes journées à la piscine ou au cinéma) ou l’hiver (alors je passe mes journées sur les planches de ski). Armé de mes vieilles Docs Martens et de mon sac en bandoulière, je me mets en route. Je prends le temps. Je m’arrête parfois pour me retourner et voir le village rétrécir. Heureusement il fait beau. Je suis tout seul, c’est la morne saison. Il a déjà neigé plus tôt dans le mois, ici et là des névés. Je vois des marmottes gambader. J’entends le vent siffler dans mes oreilles. Je suis tout en haut. Sur la crête. Je m’assois. Je prends mon carnet et je note les idées qui me passent par la tête. Je m’allonge, je ferme les yeux. Je me baigne dans le soleil. J’entrouvre mes paupières, la lumière me met les larmes aux yeux.

Je ne veux pas me réveiller.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

(photo de couverture : Olivier Donnet)

Les Damnés (Visconti / Van Hove / Comédie Française)

(quand on ne lit pas la bible)

Une très lointaine relecture du chef d’oeuvre de Jean Paul Sartre « Huis Clos ». Il est dommageable qu’on connaisse déjà la fin à cause du titre.

 

(de quoi ça parle en vrai)

Pour sa première mise en scène avec la Troupe, Ivo Van Hove revisite cette chronique au scalpel d’une famille d’industriels pendant la prise de pouvoir des nazis en 1933 en Allemagne. Il y voit une « célébration du Mal » où débauche idéologique et perversions familiales s’entremêlent. (site de la Comédie Française)

 

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Crédits photos : Comédie Française

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Depuis le temps que j’en entendais parler… J’avais même enregistré la captation de la pièce dans le disque dur de mon enregistreur, puis effacé parce que je comptais vraiment ne pas la rater en vrai. Rien que pour cela, on peut saluer la Comédie Française qui reprogramme certaines de ses pièces une année sur l’autre. Je ne suis pas un habitué du Français, mais cette maison me fascine, surtout ces dernières années, autant par son fonctionnement que par l’éclectisme de ses propositions.

C’est donc « après la guerre » que je découvre l’adaptation du scénario de Visconti. Et autant le dire immédiatement, je n’ai pas reçu le choc qu’on m’avait prédit ou le syndrome du « j’en attendais trop ». Le pire, c’est que je vois toutes les qualités de la pièce : les différentes trajectoires des personnages sont finement dessinées, la prestation des comédiens est impeccable avec notamment une Elsa Lepoivre comme toujours impériale et un Christophe Montenez dérangeant et tellement hors normes entre sa diction et son jeu), l’utilisation captivante de la vidéo, etc. Pourtant je suis resté à l’extérieur de la pièce, même un peu lassé par sa répétitivité.

vu le samedi 18 novembre 2017, à la salle Richelieu de la Comédie Française.

Prix de la place : 31€ (cat 2)

 

LES DAMNÉS

Mise en scène : Ivo van Hove

d’après le scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli

Avec : Sylvia Bergé, Jennifer Decker, Adeline D’Hermy, Guillaume Gallienne, Eric Génovèse, Clément Hervieu-Léger, Elsa Lepoivre, Christophe Montenez, Denis Podalydès, Didier Sandre…

Scénographie et lumières : Jan Versweyveld – Costumes : An D’Huys – Vidéo : Tal Yarden – Musique originale et concept sonore : Eric Sleichim – Dramaturgie : Bart Van den Eynde

Jusqu’au 10 décembre 2017 à la Salle Richelieu, Comédie Française.

 

(une autre histoire)

L’AGENT C’est un peu chiant ce que tu as écrit là, Balthazar. Je suis désolé de te le dire comme ça. C’est la copie conforme de ce que tu as écrit la dernière fois, l’avant-dernière fois, l’avant-avant dernière fois. Une espèce de patchwork, comme si tu recyclais tout ce que tu avais déjà fait. Et ne me sors pas le coup de Truffaut ou je ne sais plus qui, qui disait que ses films racontaient toujours la même chose, mais différemment. Faut que tu te bouges, faut que tu changes. Dans ta pièce, tu survoles plein de sujets mais tu n’en approfondis aucun. Pis, je ne veux plus voir de personnages qui s’appellent Céline ou Alexandre, je ne veux plus entendre parler de piscine, je ne veux plus de voir de gamins frustrés par leurs petites bites. Parle d’autre chose, putain ! Je sais pas, moi. Sors, va voir du pays, quelque chose que tu ne connais pas. Pars à l’étranger, apprends une nouvelle langue, un métier manuel, apprends à faire des pâtes en Italie comme Aziz Ansari, je l’adore ce mec ! Son bouquin, « Modern Romance » est devenu ma bible. Je pourrais même te dire, et je pense que tu vas me détester pour ça, c’est peut-être le moment d’aller voir quelqu’un, je veux dire un spécialiste. Un psy, quoi. Psychiatre, psychanalyste, je n’ai jamais su faire la différence. Tu vois bien que ça fonctionne pas, je veux dire d’écrire ce que tu as dans la tête. Tu rumines. Rien ne change. Rien ne changera. Je ne te demande pas d’écrire un polar ou une pièce philosophique. Je veux lire autre chose. Toujours avec ta langue, tes mots, mais une histoire différente. Prends en exemple Philippe Jaenada, Sulak, La Petite Femelle, il a su se renouveler, tout en gardant sa drôlerie, sa plume et ses putain de digressions. Ou adapte ! C’est à la mode ça, en ce moment, tu adaptes un film en pièce de théâtre. Pas de Rohmer, ni Renoir ni du Eustache… Déjà fait. Visconti, pareil. Je ne te conseille pas Truffaut non plus. Regarde tes dvd et on en reparle, d’accord ? Prends soin de toi.

Un an plus tard…

L’AGENT Non, mais attends, le gars, il pensait faire quelque chose d’original, il a tout pompé sur « La Ronde ». Le gars, je lui ai demandé de revoir des films, il a revu le film d’Ophüls. Et il avait oublié que c’était déjà une pièce à l’origine, de Schnitzler. Imagine quelqu’un qui se met dans l’idée d’adapter Incendies de Denis Villeneuve. Et du con, Wajdi Mouawad était passé par là !

LA COPINE J’ai lu qu’à Hollywood, ils voulaient adapter la comédie musicale Billy Elliot. C’est un film. Ils en font une comédie musicale et ils décident de refaire le film mais en comédie musicale.

L’AGENT Ah ouais, j’ai lu ça. Attends, le gars, il pense qu’en ajoutant une boucle spatio-temporelle, ça suffit à faire la différence. Genre, ça commence et aussi ça se termine avec les mêmes personnages, au même endroit, au même moment.

LA COPINE Tu viens de me divulgâcher la fin, connard.

L’AGENT Divul quoi ? T’es québécoise maintenant ? J’aime pas les accents, tu le sais bien.

LA COPINE J’ai toujours eu cet accent.

L’AGENT Ah ouais ?

LA COPINE Oui.

L’AGENT Ah. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Les trois soeurs (Tchekhov / Stone / Odéon)

(quand on ne lit pas la bible)

Pour sa nouvelle création à l’Odéon, Simon Stone a revisité le classique de la littérature américaine « Les quatre filles du Docteur March », a supprimé une des soeurs, celle dont on ne se souvient jamais du prénom (donc pas Jo) et l’a rebaptisé « Les trois soeurs ».

 

(de quoi ça parle en vrai)

Trois sœurs, trois destins entrelacés. Au fil du temps, les existences se précisent, les choix se figent, les rêves de la jeunesse se dissipent dans la médiocrité ambiante. Pourtant elles restent sœurs, jamais elles ne l’oublient… (site du théâtre de l’Odéon)

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Stéphane Braunschweig aimerait-il « Les Trois Soeurs » d’Anton Tchekhov au point de la programmer à trois reprises dans les théâtres qu’il dirige (ou a dirigé) durant ces trois dernières années ? Après la version Jatahy (qui m’avait réjoui) et celle de Kouliabine le mois dernier (qui m’avait effrayé au point de ne pas m’y rendre, rendez-vous compte : la pièce était en langage des signes… bon ok… mais en langage des signes russes !!!), voici donc la version du jeune prodige australien Simon Stone qui dirige pour la première fois des acteurs français dans une mise en scène qu’il avait créée en allemand en Suisse. Jusqu’ici, je n’avais pas eu la chance de voir son travail, ce fut donc avec une impatience non dissimulée que je me rendis dans le sixième arrondissement de Paris ce soir, malgré certaines réserves lues ou entendues à propos de l’adaptation de ce chef d’oeuvre de l’auteur russe.

On pourrait plutôt parler de réécriture de la pièce, ce que je trouve infiniment plus respectable et honnête qu’une énième nouvelle traduction de traduction d’un metteur en scène qui ne parlerait même pas le russe, comme c’était le cas pour « La Mouette » vue au printemps dernier au théâtre de la Bastille. Et quand cette réécriture est aussi assumée, ça ne peut que fonctionner, d’autant qu’elle respecte totalement l’esprit des Trois Soeurs : le temps qui passe, la vacuité de l’existence…

Et quelle idée géniale que cette maison qui tourne, comme dans un film en split screen, dans lequel on verrait tous les personnages évoluer sans temps mort, sans « attends, ce personnage doit se placer de telle façon pour qu’on le voit mieux », comme Simon Stone l’indique dans le programme. L’utilisation des micros est en cela bien pratique, mais il ne devrait pas empêcher les acteurs d’un peu mieux articuler ou parler un peu plus fort (ou de tourner le bouton du volume) car les paroles s’entremêlent, le rythme est rapide et il est parfois difficile de tout entendre (je fais mon vieux ronchon ou bien deviens-je sourd ? il n’est pas bon de vivre seul…)

Il y a également le bonheur, notamment (même s’il faudrait tous les citer) de voir Eric Caravaca sur scène qui interprète un André qui ne parvient pas à se « dépatouiller » de ses problèmes et autres addictions, de revoir Laurent Papot. Parmi les trois soeurs, c’est Céline Salette qui convainc le plus, mais je ne suis pas très objectif.

Le tout est captivant de bout en bout. Et je tiens également à le signaler, l’attention du public qui fut assez remarquable le soir où j’ai vu la pièce. Ce silence entre l’ultime scène et les saluts fut magique et presque inespéré. En revanche, il faudra m’expliquer : mais pourquoi cette affiche ?

 

vu le samedi 25 novembre 2017 à l’Odéon Théâtre de l’ Europe

prix de la place : 28€ (tarif abonnement – cat 1)

 

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Photo de couverture : Thierry Depagne

 

LES TROIS SOEURS

d’après Anton Tchekhov

un spectacle de Simon Stone

avec Jean-Baptiste Anoumon, Assaad Bouab, Éric Caravaca, Amira Casar, Servane Ducorps, Eloïse Mignon, Laurent Papot, Frédéric Pierrot, Céline Sallette, Assane Timbo, Thibault Vinçon

traduction française et assistanat à la mise en scène Robin Ormond – décor Lizzie Clachan – costumes Mel Page – musique Stefan Gregory – lumière Cornelius Hunziker – collaboratrice aux costumes Yvett Rotscheid – assistant costumes Yann Cadran – répétitions musicales Mathieu El Fassi

Jusqu’au 22 décembre 2017 à Odéon Théâtre de l’Europe (Paris), du 8 au 17 janvier 2018 au TNP Villeurbanne, les 16 et 17 février 2018 au Quai (Angers)

 

(une autre histoire)

Vienne, mars 2009

Après Berlin, je décide de revenir chez les vivants, me voilà à Vienne. Je retrouve Irina que j’ai rencontrée à la rentrée dernière lors d’un atelier théâtre dans lequel je ne me sens pas bien.

FLASH FORWARD : trois semaines plus tard (fin mars 2009)

Moi en train de claquer la porte de l’atelier en question, comme dans un mauvais boulevard. Je suis hors de moi. Ça ne m’arrive pas souvent. Mais ça fait tellement du bien.

« Mais putain, je ne te comprends pas. C’est pas pour rien que je fais tout le temps la gueule et que je fais les choses de travers. Tu parles, c’est blah blah blah entrecoupé de ton putain de mâchouillage de chewing gum. Tu es putain de vulgaire. On te l’a déjà dit, ça ? T’es pas une bonne prof. Tu sais pas parler aux gens autrement qu’en leur gueulant dessus. Pas pédagogue pour un sou. T’aides pas. Tu sais même pas lire. T’as pas voulu de mes textes ? Je m’en porte beaucoup mieux, je ferais mieux de me les mettre au cul, je fais mou en ce moment. Je ne te dis pas au revoir. Je préfère partir comme un Prince de Lu.

(note de l’auteur : seule la première phrase a été réellement prononcée)

FLASH BACK : quatorze ans plus tôt (printemps 1995)

Moi en train de claquer la portière de la voiture d’auto-école. Ça fait tellement du bien.

« Mais putain, va te faire enculer ! Je l’ai fait ton putain de créneau, un peu rapidement, mais je l’ai fait. Pourquoi tu me le fais refaire alors qu’il fait nuit et que les voitures klaxonnent derrière ? Tu veux m’humilier devant mon père, c’est ça ? Putain de raciste à la con ! (je ne connaissais pas encore le mot « misogyne à l’époque, mais j’aurais pu l’ajouter) Vingt heures que je supporte tes sarcasmes et tes commentaires puants. J’en peux plus ! Et même si je dois me taper cinq kilomètres à pied à huit heures du soir, je remonterai pas dans ta putain de caisse et tant pis si je dois mettre ton agrément de conduite accompagnée de merde au cul, je fais mou en ce moment ! »

(note de l’auteur : seule la première phrase a été réeelement prononcée)

RETOUR À VIENNE (mars 2009)

Le rendez-vous est pris au Volkstheater. Irina m’a dégôté une invitation pour une adaptation des Trois Soeurs en allemand : « Die drei Schwestern » d’Anton Tchekhov. Je ne comprends rien. Mon allemand n’a jamais été très bon.

FLASHBACK : neuf ans plus tôt. (octobre 2000)

Je suis à l’aéroport de Berlin – Tegel. Je vais passer un an en Erasmus. Je n’ai toujours pas de logement, mais c’est pas grave. On va se débrouiller. Je demande mon chemin à l’accueil de l’aéroport. J’ai préparé ma phrase en allemand. L’hôtesse me demande si je ne préfère pas parler en anglais. Je ne m’énerve pas, pour une fois. Je resterai une semaine au lieu d’un an.

FLASHBACK : une semaine plus tôt (mars 2009)

Je suis à l’aéroport de Berlin – Tegel. J’ai préparé ma phrase en allemand. Je demande mon chemin à l’accueil de l’aéroport. Elle me répond en allemand. Je ne comprends rien, mais je souris.

RETOUR À VIENNE (mars 2009)

Irina et moi nous éclipsons à l’entracte. Je ne comprends rien, ils balancent le texte à toute vitesse. Maya n’aime pas. On sort. Première fois que je pars d’une pièce avant la fin. On va boire un verre de vin. Et je me souviens de tout ça, puis je lui demande.

« Dis, Irina, tu connais le film « Before Sunrise » ? »

(note de l’auteur : après un régime sans gluten, tout est rentré dans l’ordre)

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Gardarem (Brunelle Lemonnier / Manufature des Abbesses)

(quand on ne lit pas la bible)

Conférence autour de l’emploi du futur dans la langue occitane.

 

(de quoi ça parle en vrai)

Dans le pays de Subrémor, une lutte dure depuis neuf ans, opposant les paysans du plateau d’Oménec aux militaires, pour la sauvegarde de leurs terres. Depuis son Bureau de l’Ordre établi, Aranha se voit contrainte de mettre fin à cette lutte : donnera-t-elle gain de cause aux paysans ou aux militaires ? Afin de répondre à cette épineuse question, elle voyagera dans les souvenirs son unique témoin Babé la brebis, et revivra la lutte à travers elle. (site de la Manufacture des Abbesses)

 

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Crédits photos : Compagnie L’Oeil du Renard

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Brunelle Lemonnier, l’auteure et metteure en scène de la pièce, a écrit cette pièce en collaboration avec ses comédiens et surtout a fait de minutieuses recherches autour de la lutte du Larzac dans les années 70 auprès notamment des protagonistes de l’époque. Pourtant il ne s’agit pas ici d’une pièce documentaire, parce que ce qui prévaut dans cette pièce est la résistance et surtout le collectif, qu’on a pu retrouver fort heureusement, avec plus ou moins de bonheur, dans bien d’autres combats. Et c’est cet esprit choral qui nous fait adhérer d’emblée au projet. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils savent jouer, chanter et faire de la musique. Ils m’énervent. En cela, le spectacle a un petit je ne sais quoi de Bellorinien qui n’est pas pour me déplaire. (NDLR : Jean Bellorini, metteur en scène et actuel directeur du TGP de Saint Denis, qui m’avait enthousiasmé avec son adaptation des Misérables et d’autres spectacles, dans lesquels la musique était jouée en direct, les acteurs chantaient ou disaient le texte ensemble). La création musicale est sublime. Mais le côté théâtral pur n’est pas en reste avec notamment la prestation remarquée de Jeanne Lecrivain dans le rôle de Babé la brebis. Oui, il s’agit d’une pièce dans laquelle une brebis parle… Les acteurs jouent plusieurs rôles, tous les changements de costumes se font à vue, comme il est fréquent de voir aujourd’hui, le système de cubes de bois qu’on déplace pour les changements de lieux est ingénieux. Alors certes le spectacle gagnerait peut-être à être légèrement resserré et les scènes à un ou deux personnages sont peut-être plus faibles que les scènes collectives. Mais l’ensemble est très prometteur et donne envie de suivre cette jeune compagnie.

 

vu le vendredi 24 novembre 2017 à la Manufacture des Abbesses, Paris 18

prix de la place : gratuit (offert par une grande cousine)

(pour information, une des artistes est une petite cousine éloignée de moi-même, que je ne connais pas très bien, mais comme ses parents sont abonnés à ce blog et que j’étais accompagné par ses tantes, je dois faire attention à ce que j’écris, sinon je ne serai plus jamais invité aux déjeuners dominicaux, d’où ma difficulté à écrire la dite chronique, je l’avoue)

 

GARDAREM

Ecriture et mise en scène : Brunelle Lemonnier

Avec (dans le désordre) Lucia Palli, Fabian Hellou, Tanguy Martiniere, Marie Seguin, Jeanne Lecrivain, Simon Quintana, Marthe De Carne

Décors et scénographie : Caroline Lecomte

Création musicale : Brunelle Lemonnier, Félix Gueslin, Marie Seguin, Lucia Palli

jusqu’au dimanche 26 novembre 2017 à la Manufacture des Abbesses, Paris

 

 

(une autre histoire)

Purée, ils ont remis la lumière dans le public. Purée, le quatrième mur, ils passent au travers. Ah purée, j’aime pas ça. Je peux pas me cacher. Il va se passer quoi là ? Ils descendent dans le public, ils nous regardent. J’aime pas ça, purée, oui je me répète ! Ils vont me prendre à partie, c’est toujours pour moi. Je sais pas, je dois avoir une gueule pour ça. Genre, lui c’est un bon client. Ou alors, lui il doit faire du théâtre, il va nous suivre. Je ne sais plus si j’en ai déjà parlé, un jour, lors d’une représentation, je me suis fait aboyer dessus par une des comédiennes du Quatuor Violence, par la compagnie des Divins Animaux. Je fais semblant de ne pas m’en souvenir, mais le nom de la comédienne est encore dans ma mémoire : Sophie Van Everdingen. Mais elle m’a dit que j’envoyais de mauvaises ondes, que je devais partir. Je n’ai pas bougé d’un iota. Pourtant, je suis le genre de gars qui ne sait jamais dire non : héberger un pote alors que je sais que je vais devoir passer deux jours à faire le ménage chez moi, aider à un déménagement au sixième étage sans ascenseur, changer de place dans le train pour qu’un couple puisse être ensemble (ça je l’ai déjà écrit, je m’en rappelle) : c’est moi ! Plus tard dans la pièce, elle s’est vengée. Elle m’a regardé et a dit devant tout le monde que j’allais mourir dans 30 secondes. Elle démarre le compte à rebours, le public reprend en choeur. Je sens mon coeur battre de plus en fort. Adieu, je vais mourir dans un théâtre. Sophie Van Everdingen, tu ne l’emporteras pas au paradis. Elle arrête le compte à rebours à 1. Je suis en nage, je fais tout de même une attaque, je meurs. Je vois un tunnel. Un chien me rattrape et me traîne vers les vivants. Je suis à St Ouen aux Mains d’Oeuvres, dans le public. C’est « Flirt » par la compagnie des Divins Animaux. Sophie Van Everdingen me regarde dans son miroir. Je la regarde. Je lui fais le signe « I’m watching you ».

Les comédiens descendent de scène, nous regardent mais l’un d’entre eux préfère s’attarder sur les cheveux de ma voisine. Je soupire. J’ai encore une fois beaucoup transpiré, je suis en nage. Je n’ose enlever mon pull de peur qu’on voit mes auréoles et autres marques de transpiration sur ma chemise. Parce que je transpire beaucoup. Ça fait des traces blanches, à cause du sel. J’imagine que toutes les brebis présentes sur scène seraient venues lécher mes aisselles.

J’écris vraiment n’importe quoi, parfois.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Conférence de choses #2 (2B Company / Rond Point)

(quand on ne lit pas la bible)

Venez assister à une conférence à propos de choses et surtout de trucs en tous genres. Parce que les bidules, c’est la vie et bien plus encore que tous les machins du monde.

(de quoi ça parle en vrai)

On y reviendra. Il parle et passe du coq à l’âne, de l’âne à Woody Allen, des héros de la mythologie à l’avènement de l’automobile. En une heure, le conférencier Pierre Mifsud invite à une déambulation ludique dans une encyclopédie exhaustive aux données sérieuses. (site du Rond Point)

 

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Crédits photos : la 2B company

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Voici le 2e spectacle (sur 3) découvert à la Manufacture pendant le festival off d’Avignon ces dernières années, que propose le théâtre du Rond Point cette saison. (« Laïka » de Murgia/Celestini la saison prochaine ?) 9 épisodes composent cette « Conférence de choses », chaque épisode reprenant là où s’est arrêté le précédent. La conférence est certes écrite (et apprise), mais notre conférencier se permet de partir dans certaines digressions, au gré des réactions du public, qui se sent libre d’intervenir ou même de devancer les affirmations de l’orateur.

C’est la deuxième conférence de la série à laquelle j’ai assisté : en préambule, Pierre Mifsud a fait un rapide topo sur le théâtre du Rond Point, sa localisation dans Paris puis est revenu comme par magie à la fin de la première conférence au cours de laquelle il avait abordé la fable du Loup et du chien, ensuite nous a emmenés vers Pierre et le Loup de Prokofiev et c’est sans temps mort et en adoptant les tics de langages d’un conférencier plus vrai que nature, que notre guide est passé de Vivaldi à la Comète de Halley, sans oublier Christine roi de Suède, Annie Hall, Descartes et le Styx, le tout sans nous ennuyer un seul instant, en 53 minutes et trente-trois secondes cocotte chrono, comme dans un énorme « Trois petits chats, chapeau d’paille » (spoiler alert : à la fin de la comptine, ça revient à son point de départ).

C’est avec facétie et finesse que Pierre Mifsud fait le tour de force de nous intéresser, nous amuser, nous intriguer : l’imprévisibilité du propos est séduisante et réussit à nous prendre à défaut quand on pense savoir où il veut en venir. (j’ai appris plein de trucs ce soir-là, faut juste que j’arrive à les ressortir en soirée, je m’en suis d’ailleurs voulu de ne pas avoir pris de notes).

On oublie la cocotte, puis on se dit « mince c’est bientôt terminé ». Frustration. On a envie de revenir. J’attends avec impatience le contrôle des acquis.

 

CONFÉRENCE DE CHOSES (en 9 épisodes)

conception, mise en scène et co-écriture : François Gremaud

interprétation et co-écriture : Pierre Mifsud

une production 2b company

Jusqu’au 23 décembre 2017 au théâtre du Rond Point, Paris (et le 17 décembre, intégrale de 8h)

Mais également le 10 mars 2018 au théâtre de Chelles, les 22 et 23 mai 2018 à la Passerelle de Saint-Brieuc et du 20 au 24 juin 2018 au Nouveau Théâtre de Montreuil.

(une autre histoire)

Les enfants, quel est le mot repère pour le son [m] ? Mo-mie. Momie. Deux syllabes. Qui sait ce qu’est une momie ? Une momie, c’est un corps humain desséché, entouré de bandelettes et conservé par des procédés d’embaumement, qu’on trouve dans les sépultures d’Égypte… Non Amir, les morts vivants n’existent pas, c’est dans les films, les romans, les histoires qui font peur. « Do you like scary movies », entendait-on dans le film de Wes Craven « Scream », dont le titre n’est pas inspiré de cette fameuse chanson de Janet et Michael Jackson, mais évidemment du célèbre tableau de Edvard Munch « Le cri », qui date de 1883. Nous devons prononcer son nom [muŋk] et non [munʃ], c’est pourquoi il n’a rien à voir avec le syndrome de Munchausen, célèbre pathologie psychologique qui se définit par un besoin de simuler une maladie dans le but d’attirer l’attention ou la compassion. et encore moins avec la ville de Munich, München la ville bavaroise, jumelle de Bordeaux, ville appréciée notamment pour son vin, même si je préfère le Bourgogne qui est moins dans la productivité et plus dans la qualité. Certes il s’agit d’un avis très subjectif, mais que je partage avec mon caviste avec qui j’ai conversé l’autre soir. En effet, ce dernier avait organisé un cours de dégustation oenologique. Je m’y étais rendu, pensant rencontrer la femme de ma vie. Malheureusement trois couples étaient déjà présents et un autre homme célibataire me faisait du pied. Hormis mon hétérosexualité convaincue, surtout par moi-même, c’est son admiration pour le Paris Saint Germain qui m‘a fait tout de suite mettre le hola. Je me suis alors levé, mais personne ne m’a suivi dans cette grande tradition sportive, qui est de se lever et former une vague non aquatique, du grec aqua, qui veut donc dire « eau », vous le savez évidemment, comme l’eau de ce verre que je n’ai pour l’instant pas bu, car je ne sais pas d’où elle provient. Quelqu’un a-t-il craché dans ce contenant ? L’eau est-elle empoisonnée ? Je ne peux point trinquer ici pour le vérifier et ainsi verser quelque peu de mon breuvage dans un verre voisin, m’assurer de la non-dangerosité de mes convives et donc boire ma première gorgée, non pas de bière comme l’affectionne l’auteur Philippe Delerm, en regardant dans les yeux mon supposé camarade. Et oui, cela vient de là, cette habitude de trinquer, dans les yeux. Mais comment font alors les aveugles ? Et ceux qui sont amoureux, n’en parlons pas. Des aveugles amoureux qui se rencontrent par hasard, ils se dirigent chacun de leur côté et se heurtent, comme dans un des premiers courts-métrages du duo Caro et Jeunet « Foutaises », que je vous conseille fortement de voir, si ce n’est pas fait, dans lequel Dominique Pinon aimait croquer les oreilles des Petits Beurres, de fabrication bretonne. Petits beurres qui n’étaient pourtant pas salés, contrairement à la mer, à ne pas confondre avec ma mère qui est peut-être elle aussi salée, mais je ne l’ai point goûtée, n’ayant jamais été allaité.

Ça sonne ! Courez vite en récré mes petits, je reprendrai là où je me suis arrêté, c’est à dire les seins de vos mères !

 

vu le mercredi 22 novembre 2017 au théâtre du Rond Point  à Paris.

prix de la place : 19€ (tarif abonnement)

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Les étoiles nous regardent d’en haut (Laboratoire à théâtre / M.P.A.A Saint-Germain)

(quand on ne lit pas la bible)

Adaptation de la pièce australienne : « The stars are watching us from below. »

 

(de quoi ça parle en vrai)

Un camp de migrants subit l’hostilité de certains habitants du quartier où il est installé. Un groupe de jeunes, troublés par cette situation, se mobilisent et cherchent un moyen de “se rendre utile”. C’est alors qu’ils découvrent l’existence d’une pièce de l’Antiquité, Les Suppliantes d’Eschyle, qui met en jeu ces questions de migration, d’accueil et d’hospitalité. Ils apprennent que ces problématiques sont liées à la naissance de la démocratie. Ils décident de s’emparer de cette pièce et de la monter. Des adultes s’unissent à ces jeunes, des débats surgissent, des oppositions, des accords, des confrontations : l’action théâtrale a lieu, les jeunes vivent et jouent une pièce d’actualité. (site de la M.P.A.A.)

 

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Crédits photos : Compagnie À force de rêver

 

(ceci n’est définitivement pas une critique)

Je l’ai déjà écrit ici : il n’est pas simple de tenter d’écrire quelque chose d’un tant soit peu objectif quand on connait plus ou moins bien un artiste. Il est d’autant plus difficile d’écrire une critique en bonne et due forme quand on a passé trois ans à épauler, jouer avec, rire avec, s’agacer, se passionner pour des jeunes qui auraient presque l’âge d’être mes enfants (si je m’y étais pris très tôt, je précise, ne me vieillissons pas outre mesure) et dont certains apprenaient mieux leur texte que moi.

L’atelier qui présentait ce weekend à la M.P.A.A St Germain son nouveau spectacle est composé d’une quinzaine de jeunes de 17 à 25 ans, dont certains sont en situation de handicap. Chaque année, l’auteur Miguel Angel Sevilla leur écrit une pièce à partir d’un thème sur lequel ils réagissent et improvisent, grâce à « une approche ludique qui donne une grande place à la fantaisie, à l’imaginaire et la singularité de chacun. » Car contrairement à  un « Disabled Theater » de Jérôme Bel, ici ce n’est pas la différence qui est au centre de tout. Le groupe, aussi hétéroclite soit-il, est là pour raconter une histoire. Et je ne parlerai ici que du pan artistique de cet atelier, car il est évident qu’il apporte bien plus qu’une simple reconnaissance scénique. J’ai participé avec eux à deux spectacles (« Les alvéoles de la mémoire » et « Polaroïd » du même auteur. Dans ce dernier, je jouais le rôle d’un pimp en manteau foufoune qui se prénommait Didi la Crasse. D’ailleurs après ce spectacle d’anthologie, j’ai préféré arrêter à mon zénith, jamais plus je ne trouverai de rôle à la hauteur du personnage de Didi la Crasse… Bordel, j’ai même slammé !)

Tout ça pour dire que c’est non sans émotion que je me suis retrouvé dans les fauteuils moelleux de l’auditorium pour voir et applaudir mes anciens camarades.

La pièce superpose plusieurs couches : la vie de jeunes dans un quartier, ce que provoque la proximité d’un camp de migrants dans ce quartier et le montage des Suppliantes d’Eschyle. C’est ce qui m’avait fait rejoindre le groupe il y a quatre ans : une certaine exigence dans le propos qui va au-delà du spectacle de fin d’année, en tant que participant à l’atelier mais également en tant que spectateur et citoyen. Rien n’est imposé, on réfléchit simplement. Et sur scène, j’ai vu des jeunes acteurs, point. Alors oui, on pourrait trouver à redire sur la diction de certains, le ton d’autres, mais il y a un tel enthousiasme et une envie à toute épreuve chez ces jeunes-là, que tout passe. Il faut dire aussi qu’ils sont grandement aidés par la poésie de l’auteur, une scénographie et des lumières qui donnent lieu à de belles images et une mise en scène qui fait la part belle au collectif, au choeur. Car c’est ensemble qu’ils touchent le plus.

(je précise, je n’ai pas été rémunéré pour cet article…)

 

vu le dimanche 19 novembre 2017 à la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs – Auditorium Saint Germain

prix de la place : entrée libre

 

LES ÉTOILES NOUS REGARDENT D’EN HAUT (L’INCENDIE)

texte Miguel Angel Sevilla

mise en scène Nathalie Sevilla

assistanat mise en scène Pierre Boucher et Nina Cohen – scénographie et costumes Evelyne Guillin – Lumières François Luberne – composition vocale et musicale Paula Mesuret – chorégraphies Marine Vincent

avec les participants de l’atelier de création Le Laboratoire à Théâtre de la Cie A force de rêver.

 

SITE INTERNET DE LA COMPAGNIE : http://aforcederever.fr

BLOG DU LABORATOIRE À THÉÂTRE : http://lelaboratoireatheatre.over-blog.com

Pour soutenir l’action de la compagnie : https://www.helloasso.com/associations/compagnie-a-force-de-rever

 

(une autre histoire)

« Alors, tu veux pas revenir ? »

Je prends le temps pour choisir mes mots.

« Non, c’est pas que je veux pas, c’est que je peux pas. Déjà les répétitions se font à l’autre bout de Paris, pis y a pas de bistrot dans ce coin-là. Porte de Vanves ! Tu as déjà donné rendez-vous à quelqu’un à Porte de Vanves, je veux dire, un rendez-vous galant ? Ok, j’étais pas là pour ça, mais quand même. Trois métros pour y aller. La ligne 13 pour terminer ! Je me fais vieux, je dois me coucher tôt en semaine, sinon je tiens pas le coup. Non mais c’est bien, vous vous êtes bien débrouillé sans moi. Personne n’est indispensable. Personne. Même moi. Je sais, je sais, je vous ai manqués. J’attendais que l’ombre de Didi la Crasse apparaisse sur le mur du théâtre. Le rôle de ma vie. Pourtant j’en ai fait dans ma vie de comédien amateur. Je suis un comédien amateur professionnel. J’ai joué le Pain dans « L’Oiseau bleu » de Maeterlinck, ça s’oublie pas. J’avais planqué des tranches de pain de mie dans ma tunique, totalement imprégnées de ma sueur. Je transpire toujours autant. Mais je ne pue pas. C’est déjà ça. C’est déjà ça. Non, je préfère me consacrer à l’écriture. J’écris très lentement, mais je vais à mon rythme, j’aime bien. Je parle de moi, mais pas que. Parfois je parle d’autres personnes qui sont en fait des autres moi. Mais toujours je parle d’un autre que moi. Tu comprends ?

De toute façon, je ne peux plus monter sur scène. Ça me rend malade. Je suis trop talentueux. Sarah Bernhardt disait à une jeune première qu’elle aurait du talent quand elle aurait le trac. J’ai tellement le trac que ça me paralyse. C’est dommage, c’est vrai, que les gens ne puissent plus profiter de mon talent indéniable, ma présence et mon intelligence de jeu. C’est comme ça, c’est comme ça. Je préfère garder en tête cette photo où je suis habillé en Didi la Crasse. Je l’ai même utilisée pour mon profit sur Tinder. Comme je faisais encore la gueule sur la photo, j’ai matché avec personne. Je suis toujours tout seul. Pas pour rien que je reste ici à manger des cacahuètes alors que tout le monde est parti. Personne ne m’attend chez moi. Mis à part mon Mac. Non, je ne me prostitue pas, je parle de mon ordinateur.

Je crois que je parle trop , non ?

 

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Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Tous des oiseaux (Wajdi Mouawad / La Colline)

(quand on ne lit pas la bible)

Micheline Dax a fait des émules, voici la première pièce intégralement sifflée. Des années de préparation, une batterie d’ornithologues pour chapeauter le projet et être ainsi le plus près de la réalité. Je suis oiseau. Et une question reste en suspens, à laquelle le spectacle peut-être répondra : Mais pourquoi donc des noms d’oiseaux comme insultes ?

 

(de quoi ça parle en vrai)

Dynamitée par la violence du monde, l’histoire intime d’Eitan, un jeune scientifique allemand d’origine israélienne confronté à un violent conflit avec son père, montre comment, dans les luttes fratricides, il n’existe aucune réalité qui puisse dominer une autre. Tout conflit cache un labyrinthe où va, effroyable, le monstre aveugle des héritages oubliés. (site du théâtre de la Colline)

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Crédits photos : Simon Gosselin

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

La première partie de mes chroniques peut être considérée comme un exercice de style, digne des ateliers d’écriture, une blague, mais il est vrai que je ne lis jamais les programmes avant de voir le spectacle, quitte à n’y rien comprendre. Pour cette nouvelle pièce de Wajdi Mouawad, je savais seulement qu’elle se jouerait en anglais, allemand, hébreu et arabe, surtitrée en français. Et là où je dis que c’est déjà réussi, c’est quand je comprends tout. L’éternelle question : faut-il tout comprendre d’un spectacle ? On en parlera un autre jour.

Ce que je veux dire, c’est qu’avec une telle matière, toutes ces histoires qui s’entremêlent (chaque personnage a la sienne), des personnages qui passent d’une langue à l’autre, des aller-retours passé-présent, le Moyen Orient (que je commence à peine à comprendre grâce au dessinateur Guy Delisle et à un membre de ma famille qui est en plein dedans), il fallait vraiment un orfèvre tel que Wajdi Mouawad pour nous emmener durant plus de quatre heures et ne jamais nous perdre. Car on est captivé du début à la fin, notamment grâce à ces acteurs inconnus de mes yeux et de mes oreilles, tour à tour attachants, drôles, émouvants. On voit les passerelles avec « Incendies » (honte sur moi, je n’ai pas tout vu ni lu de Wajdi Mouawad), on est toujours séduit par l’écriture du directeur de la Colline, pourtant traduite dans les différentes langues et retraduites en français pour les sur-titres. Il est compliqué de plus en parler sans divulgâcher.

Après « Les Barbelés » de Annick Lefèbvre, la Colline nous propose à nouveau un spectacle qui colle encore au coeur et au corps et finit en beauté sa saison automnale. (attention, dans cette conclusion se cache une référence à un autre auteur présent à la Colline cet automne, sauras-tu la retrouver ? Raté, ce n’est pas Laurent Voulzy)

vu le samedi 18 novembre 2017 au Théâtre de la Colline, Paris 20.

Prix de la place : 13€ (Carte abonné)

 

TOUS DES OISEAUX

texte et mise en scène Wajdi Mouawad

avec Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock, Souheila Yacoub

assistanat à la mise en scène Valérie Nègre – dramaturgie Charlotte Farcet – conseil artistique François Ismert – conseil historique Natalie Zemon Davis – musique originale Eleni Karaindrou – scénographie Emmanuel Clolus – lumières Éric Champoux – son Michel Maurer – costumes Emmanuelle Thomas assistée de Isabelle Flosi – maquillage, coiffure Cécile Kretschmar – traduction hébreu Eli Bijaoui – traduction anglais Linda Gaboriau – traduction allemand Uli Menke – traduction arabe Jalal Altawil

(Jusqu’au 17 décembre 2017 au théâtre de la Colline, Paris 20

et du 28 février au 10 mars 2018 au TNP de Villeurbanne.)

 

(une autre histoire)

Il y a celui qui fait la gueule parce qu’il a interverti un mot avec un autre. Il y a celui qui fait la gueule, parce qu’il fait toujours la gueule. Il y a celle qui fait la gueule, mais en fait elle ne fait pas la gueule, elle ne sourit pas, parce que le passage entre la fin de la pièce et les applaudissements est trop bref, trop violent. Y a pas de sas de décompression, rien. Faut tenir la main de son partenaire, se recentrer, saluer en même temps. Elle vient de mourir, elle vient de pleurer, elle est à nouveau vivante, elle a la lumière en pleine gueule, elle n’arrive pas à switcher aussi rapidement contrairement à certains. Il y a celui qui se plie en deux, pour se détendre. Il y a celui qui fait un simple mouvement de la tête, un léger sourire sur les lèvres. Il y a celle qui se met toujours sur le côté, pour mieux voir, pour mieux apprécier. Il y a celle qui s’étonne de voir autant de gens qui applaudissent, qui se lèvent même. Elle essaie de tous les regarder malgré la lumière des projecteurs. Elle sourit de toutes ses lèvres et de toutes ses dents. Les larmes lui montent aux yeux. Ils repartent dans les coulisses, mais les gens n’arrêtent pas d’applaudir, on entend même des bravos. Mais ils sont fous, il est tard, ils vont rater le dernier métro. Ils reviennent sur scène, pas dans le même ordre. Certains se tiennent fort la main, à s’en blanchir les phalanges. Y en a pour qui c’est le plus beau jour de leur vie. Les spectateurs sont flous et même si on sait que nos proches sont venus nous voir, on ne les voit pas. On flotte. On est ailleurs. On aimerait que le temps s’arrête. Ou au moins ralentisse. Y a celui, y a celle, qui répète à l’envi qu’elle, qu’il préfère répéter. Mais il , elle change toujours d’avis quand vient le moment de saluer. Avant de partir, l’artiste se retourne, lève la main, la ferme et l’ouvre comme quand un enfant nous dit au revoir. Salut.

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

 

VERSION AUDIO

C’est la vie (Mohamed El Khatib / Festival d’Automne)

(quand on ne lit pas la bible)

Performance participative durant laquelle les spectateurs seront invités à danser jusqu’au bout de la nuit sur une unique chanson diffusée en boucle, celle de Chuck Berry « You never can tell », popularisée grâce au film de Quentin Tarantino « Pulp Fiction ».

 

(de quoi ça parle en vrai)

Il y a un vide terminologique à l’endroit de ceux qui ont perdu leur enfant, ces « orphelins à l’envers ». C’est la vie marche dans ce désert à la recherche d’un mot, d’un espoir, en invitant deux comédiens à témoigner de cette indicible douleur. Une performance-expérience-limite qui tient sur le fil de la délicatesse. (site du festival d’Automne à Paris)

 

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Crédit photo : Joseph Banderet (Couverture : Christophe Raynaud de Lage)

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

C’est un « spectacle » qui devance les critiques dès son résumé : « une performance expérience limite qui tient sur le fil de la délicatesse » et va même jusqu’à « fast-checker », dans le livret distribué en début de spectacle, par les comédiens eux-mêmes les mots écrits par Mohamed El Khatib. Un peu comme si l’auteur d’un blog prévenait ses lecteurs qu’ils ne sont pas en train de lire une critique parce qu’il n’est pas bon dans cet exercice, mais qu’il le fait quand même. Car El Khatib a l’habitude de nous laisser nous dépatouiller avec ce qui est vrai et ce qui l’est moins. Tout est écrit, que cela soit… écrit. Il n’est pas évident de critiquer une telle performance tellement elle touche à l’intime et au coeur. Alors oui, on peut trouver que les moments où les comédiens interagissent sont un brin artificiels, mais pourtant essentiels à faire respirer la parole de l’un et de l’autre autour du drame qu’ils ont chacun vécu. D’ailleurs les écrans vidéos viendront les soutenir et alléger leur peine. L’humour y est également très présent, par le truchement des histoires juives racontées avec appétit par David Kenigsberg.

La jauge des spectateurs est réduite, nous sommes au plus près. Le soir où j’ai assisté à la représentation, celle-ci était traduite en langages des signes, ce qui me fait écrire que cela devrait être toujours le cas, tellement ça apporte de la poésie (même si ce n’est pas le but recherché, de toute évidence). Et comme pour « Finir en beauté », les acteurs ne viendront pas saluer mais seront présents à la sortie. Et comme pour « Finir en beauté », je prononçai du bout des lèvres un timide « merci ». L’émotion est là, car la sincérité de Mohamed El Khatib est toujours présente, même dans ses petits arrangements avec les morts, finalement indispensables.

 

C’EST LA VIE

Une performance documentaire du Collectif Zirlib
Texte et conception : Mohamed El Khatib
Avec Fanny Catel et Daniel Kenigsberg
Réalisation : Frédéric Hocké et Mohamed El Khatib
Régie : Olivier Berthel

Jusqu’au 22 novembre 2017 à l’Espace Cardin – Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

 

(une autre histoire)

Il hausse les épaules, sa tête se penche vers la gauche : « C’est la vie ! », me dit-il. Je n’ai pas raté mon métro, je n’ai pas craqué mon pantalon en posant mon pied alors que la selle de mon vélo est bien trop haute, je n’ai pas cramé mon soufflé au fromage, etc. Il me dit « C’est la vie ! » alors que… Je ne sais pas si ce qui m’a insupporté, c’est qu’il me dise ça ou qu’il accompagne cette parole avec ce geste qu’il conclut en tapant le côté de ses cuisses. Ou bien juste après quand il me parle de bien trop près en posant sa main sur mon épaule et en me la malaxant, comme si j’avais besoin d’un massage de l’épaule droite. C’est bien connu, toute la tension se situe dans l’épaule droite, surtout quand on est droitier. Je l’écoute, mais je n’en pense pas moins. Si je pleure, c’est devant l’incroyable imbécilité de ce qu’il me raconte. « Aller de l’avant », « Tu n’es pas tout seul », « Haut les coeurs ». Moi, dans une pareille situation, je ne dis rien. Un sourire de compassion, voilà tout. Je pense, en fait, que ce qui me ferait du bien, c’est lui mettre un pain dans la gueule. Genre, une boule. Pas une demi-baguette, hein, ou une ficelle ? Une boule bien lourde, comme celle que vend le boulanger du bas de ma rue. Pas celui du haut, notez bien, parce qu’il ne faut pas s’étonner s’il y a tous les jours une file d’attente hyper longue devant le boulanger du haut, si longue qu’on se croirait en U.R.S.S.. Il est putain de bon, son pain, au boulanger du haut de ma rue. Je ne sais pas ce qu’il y met. Et c’est pas pour la boulangère qu’on y va. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. La boulangère n’est pas moche, mais cela va au-delà de ses miches. Je n’ai jamais vu ses mioches dans le magasin, cela dit… Cela dit, je mets au rencard mon régime sans gluten, rien que pour leur pain. Parce que le pain, c’est la vie.

« Pourquoi tu souris ? » me demande-t-il, toujours avec sa main et ses ongles beaucoup trop longs pour être honnête sur mon épaule.

« Je souris parce que… parce que… »

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Bella Figura (Yasmina Reza / Théâtre du Rond Point)

(quand on ne lit pas la bible)

Cette pièce nous mène dans le milieu du patinage artistique ou les relations mouvementées entre un entraîneur français ne parlant pas italien et une patineuse de Pinerolo qui ne parle pas français. Les seuls mots italiens que connaît l’entraîneur sont « Bella figura » et « Una birra per favore ». Mais « Bella Figura », ça passait mieux pour le titre d’une pièce.

 

(de quoi ça parle en vrai)

« Je n’ai jamais raconté d’histoires dans mes pièces, on ne sera pas surpris qu’il en aille encore ainsi. » Yasmina Reza compose le tableau d’un monde dont les fondements s’effritent : chacun fait « bonne figure » jusqu’à l’effondrement. (site du Théâtre du Rond Point)

 

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Crédits photo : Pascal Victor

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Pour ceux qui ne suivraient pas, je paye mes places. Pour l’instant. Je prends des abonnements à droite et à gauche, optimisation des coûts, du temps. « Je me hais plutôt moi-même », quand j’y pense (je viens de citer Richard III, j’ai des lettres aussi) pour cette optimisation. Au Rond Point, on doit prendre au moins quatre spectacles dans la grande salle. Il m’en manquait un, j’ai pris celui-là, plus ou moins au hasard. Quand je joue au loto, je ne gagne jamais (comme pas mal de monde, je crois), ben là c’est pareil.

Pourquoi choisir Bella Figura ? Pour ses acteurs avant tout : Emmanuelle Devos appréciée dans ses films, qui livre ici une prestation assez réjouissante, Louis-Do de Lencqueseing que j’avais découvert dans « Le père de mes enfants » de Mia Hansen Love et qui compose de belle façon ce personnage pleutre et surtout Micha Lescot qui n’aurait qu’à lever le petit doigt qu’il serait encore passionnant, tellement il se passerait de choses dans son petit doigt. (Josiane Stoléru et Camille Japy complètent la distribution)

Je n’ai rien contre Yasmina Reza. Je n’ai rien pour non plus. J’ai seulement vu « Art » (la version du tg STAN et de Dood Paard (en juin dernier au théâtre de la Bastille), que j’avais appréciée, mais je suis surtout un inconditionnel du travail collectif de ces Flamands, il faut dire). Quand on lit l’entrevue de Yasmina Reza avec Pierre Notte dans le programme, ce dernier lui demande son angle d’attaque quant à sa mise en scène. Elle répond qu’elle veut faire respirer l’écriture, la faire résonner. Comme elle a écrit la pièce, ça peut se comprendre : entendre (et faire entendre) au mieux le texte. Mais nous avons surtout des trous d’air. Ça ronronne mais ça ne passe jamais la seconde. Pourtant ça commençait bien : le rideau se lève, façon de parler, et nous ne voyons pas un début d’histoire car nous sommes au beau milieu d’une situation dont on comprend rapidement les tenants et les aboutissants : un homme et sa maîtresse sur un parking, à côté de sa pimpante voiture jaune. Et bim badaboum, en faisant marche arrière, l’homme heurte la belle-mère d’une amie de sa femme. Comme de par hasard. Et là nous sommes perdus, l’ennui prend le dessus, pas aidé par les changements de décors entre chacun des tableaux, longs et sans intérêt. (les fameuses options (nappes) atmosphériques musicales et vidéos).

Pour être honnête, je venais de voir « C’est la vie » de Mohamed El-Khatib à l’Espace Cardin (la critique arrive prochainement) et je n’étais peut-être pas dans les meilleures dispositions pour voir cette pièce. Il n’empêche, cela reste une déception aux vues de la réputation de l’autrice.

Ps : Je me demande si Thomas Ostermeier a fait mieux avec ce texte écrit pour lui et créé à Berlin avec notamment Nina Hoss, si j’ai bien fait mes devoirs.

 

vu le mercredi 15 novembre 2017  à 21h au théâtre du Rond Point (Paris 8e)

prix de la place : 19€ (abonnement)

 

BELLA FIGURA

texte et mise en scène : Yasmina Reza

avec Emmanuelle Devos, Camille Japy, Louis-Do de Lencquesaing, Micha Lescot, Josiane Stoléru

décor : Jacques Gabel – lumières : Roberto Venturi – costumes : Marie La Rocca – coiffure et maquillage : Cécile Kretschmar – son : Bernard Vallery – musique : Nathan Zanagar, Théodore Eristoff – vidéos : Les Dronographes – collaboration artistique : Valérie Nègre, Sophie Bricaire, Oriane Fischer

Jusqu’au 31 décembre 2017 au Théâtre du Rond Point, Paris 8e

 

(une autre histoire)

Je suis habillé comme un manche. Un vieux pull, mon jean noir déchiré à l’entre-jambes (J’attends désespérément qu’on me livre le nouveau. Le problème, c’est que j’ai perdu du poids et je suis entre deux tailles : si je prends la taille au-dessus, je flotte et si je prends la taille en-dessous, mes cuisses sont hyper serrées. Parce que j’ai des cuisses très musclées… Ce n’est pas vrai, mais ça passe mieux que de dire que j’ai des cuisses dodues), mes chaussures que je dois cirer depuis l’été dernier, mon vieux trench-coat qui fait sa dernière saison et qui me fait ressembler à l’Ours Paddington : je fais pâle figure. Surtout quand je regarde les gens autour de moi. Tous endimanchés, tous vieux. Moi aussi, je commence à me faire vieux. J’aurai trente-neuf ans dans un mois pile et je suis en pleine crise pré-quarantenaire. Je suis tout seul dans mon fauteuil rouge et je regarde les gens.

Je reconnais Catherine H., qui est assise au même rang que Jean-Pierre D., qui restera debout un certain temps, se retournera sur la salle pour voir s’il connait quelqu’un (Je ne le connais pas, mais j’ai vu tous les Guédiguian (Fier d’être marseillais !). Une fois, je l’ai croisé dans une rue. Il fumait une clope à l’extérieur d’un restaurant. Il était tout seul. J’arrivais à sa hauteur quand l’ami qui m’accompagnait s’est écrié : « Oh ! Jean-Pierre Darroussin ! » Évidemment l’acteur l’a entendu, se préparait à ce qu’on s’arrête pour lui parler, mais nous avons passé notre chemin. Je ne me suis pas retourné, mais je suis à peu près certain qu’il l’a un peu mal pris.)

Le rang devant moi s’installe Louise B. Elle salue un chanteur derrière moi dont le nom du groupe commence par deux AA. Ils s’envoient des textos ; à leur réception, l’actrice se retourne et le regarde en rigolant, comme si elle venait de lire une bonne blague (je ne sais pas raconter les blagues) (je précise, elle est venue accompagnée, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit). Je suis juste dans l’axe. Quand elle le regarde, c’est comme si elle me regardait. Oh putain, elle me regarde sans me regarder. Elle est trop belle. À peine maquillée. Elle a joué dans quoi dernièrement ? Ah non, je peux pas lui parler de ce film avec Stéphane de Groodt, parce que… bon… Je suis pas trop mal coiffé, ça va ? Je ne regarde pas trop mon portable, je fais semblant de lire le programme que je ne lis jamais, je tourne la tête, nos regards se croisent, mais je continue mon panoramique, comme si de rien n’était, comme si je ne l’avais pas reconnue. Je sais bien faire ça.

Je passe la pièce à guetter ses réactions, sa nuque, le crâne de la personne qui l’accompagne. Je comprends mieux maintenant pourquoi « Bella Figura » m’est passé au-dessus.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Réparer les vivants (Maylis de Kerangal / Emmanuel Noblet / Théâtre du Petit Saint Martin)

(quand on ne lit pas la bible)

Dans le but de faire venir les spectateurs du public dans le privé, les responsables du théâtre du Petit St Martin ont choisi le titre « Réparer les vivants » (extrait d’une réplique de la pièce « Platonov » de Tchekhov) pour l’adaptation haute en couleurs du jeu MB « Docteur Maboul ».

 

(de quoi ça parle en vrai)

Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque : comment le coeur de Simon, 19 ans, peut remplacer celui de Claire, 50 ans, au terme d’une course contre la montre captivante. Toute une chaîne humaine pulsée durant 24 heures pour réaliser cette prouesse de la médecine moderne. Une aventure intime et collective autour d’un organe symbole de la vie et lieu de toutes les émotions. (site du théâtre du Petit St Martin)

 

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Crédits photos : Aglaë Bory

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Que peut-on dire qui n’a pas déjà été dit ? Plus de deux ans que ce spectacle tourne. Je l’ai vu une première fois en 2015, dans la petite salle ronde de la Condition des Soies, dans le Off d’Avignon (une salle autrement plus séduisante que celle du Petit St Martin (c’est une de mes rares incursions dans le privé, je précise et même si on est plutôt bien assis, ça reste des fauteuils de salle polyvalente)). C’était midi pile, j’étais assis à côté de Jil Caplan qui sentait très bon et nos coudes ont même fait connaissance. Pas certain qu’elle s’en souvienne, en revanche. Je me souviens des frissons dans les poils (causés par le spectacle, pas par Jil Caplan, quoique…). Et j’en ai quelques uns. Je me souviens des yeux embués. Non, en fait, je ne me souviens pas des yeux embués, mais je suis le genre de gars qui a les larmes aux yeux très facilement (j’ai pleuré devant un épisode de la série « Hartley, Coeurs à vif « , une série que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, c’est dire), donc ça ne m’étonnerait même pas.

Ici je ne pourrai pas dire si Emmanuel Noblet a modifié son spectacle. Des nuances de jeu, peut-être. En tout cas, on voit toujours la même application, l’empathie pour les différents personnages, caractérisés grâce à de légères variations (même le jeu avec les voix enregistrées fonctionne, là où c’est un exercice un peu casse-gueule), la simplicité. Toujours cette qualité de l’adaptation. Les mots de Maylis de Kerangal. Des moments nous reviennent immédiatement en mémoire. Un drap tendu entre deux chaises, la table d’opération, un trou pour signifier l’endroit où le coeur est prélevé. Des mains qui représentent les palettes de réanimation. Le pouvoir de la suggestion. Une voix murmurée (l’unique moment sonorisé). L’effet est total.

Il est bon parfois de revoir des spectacles.

 

vu le mardi 14 novembre 2017 au Théâtre du Petit St Martin (Paris 13)

 

RÉPARER LES VIVANTS

D’après le roman De Maylis De Kerangal

Adaptation, jeu et mise en scène Emmanuel Noblet

Avec la collaboration de Benjamin Guillard

Voix Constance Dollé, Stéphane Facco, Vincent Garanger, Benjamin Guillard, Maylis De Kerangal, Evelyne Pelerin, Alix Poisson, Anthony Poupard, Olivier Saladin, Hélène Viviès.

Eclairage et Vidéo Arno Veyrat. Son Sébastien Trouvé. Designer Sonore Cristián Sotomayor. Imagerie médicale Pierre-Yves Litzler. Couture Solveig Maupu.

Actuellement au Théâtre du Petit St Martin.

 

(une autre histoire)

Il voit la fille passer tous les jours. Son coeur tressaute. Parfois il est dans l’eau, parfois il est au bord du bassin, allongé. Ou carrément sur le sautoir. Il attend qu’elle passe pour plonger, trop peur du plat devant elle. Parfois il remarque que son coeur ne bat pas seulement du côté gauche de sa poitrine. A la cheville, quand il appuie dessus. Même quand il se masturbe, à la fin, il sent sa bite palpiter. (c’est quand il est chez lui, je précise, au cas où) C’est marrant quand même, retrouver son coeur dans sa bite. On dit bien que le pancréas ou je ne sais quel organe dans le ventre est un deuxième cerveau. Tout se mélange. Alors, pour garder la tête froide, pour ralentir les pulsations de son coeur, il plonge, retient sa respiration et attend en bas. Il se tient au rebord pour tenir le plus longtemps. Le maître nageur a toujours l’oeil sur lui. Il parait que c’est interdit de faire de l’apnée. Imaginons que tout le monde fasse la même chose, il faudrait qu’il y ait autant de maîtres nageurs que d’apnéistes.

Parfois il vide totalement sa respiration pour tomber comme une pierre au fond de la piscine dans son petit pull marine. Les sons, les mouvements aussi sont comme assourdis. Tu l’entends le coeur, tu le sens. Est-ce que les gens autour de lui qui nagent entendent son coeur. Il ralentit. Imagine, ton coeur tout à l’heure et maintenant. Progressivement, qui bat de moins en moins fort, qui… Tu crois qu’il t’a oublié, qu’il a oublié que t’étais au fond ? L’amour, la mort. Quand on est amoureux, ça bat fort, ça bat vite. Si le coeur bat fort, bat-il forcément vite ? Parce que là, il bat fort, mais de plus en lentement. Quand on meurt, il bat moins vite, bip bip bip, comme dans les séries médicales, le pouls.

J’y pense seulement maintenant, quand on fait du sport, on prend son pouls au cou ou au poignet.

Si on meurt, si le coeur bat moins vite, si on pense à la fille qu’on voit passer tous les jours qui nous fait tressauter le coeur, c’est ce qu’il pense, est-ce que le coeur repart comme en 40, est-ce que le coeur reprend de la vigueur, est-ce que ?

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Les barbelés (Annick Lefèbvre / Alexia Bürger / Théâtre de la Colline)

(quand on ne lit pas la bible)

Pièce documentaire qui narre comment les barbelés, présents dans le film « La Grande Évasion » et la fameuse scène de la moto avec Steve McQueen, ont été choisis, préparés pour ce rôle ô combien exigeant.

 

(de quoi ça parle en vrai)

Quand un être humain réalise que des fils barbelés lui poussent dans le corps, que sa gorge et sa bouche en seront bientôt envahies, l’empêchant peu à peu de respirer, c’est alors que surgit l’urgence de la parole. Dire les derniers mots de l’ultime heure de sa vie, tant qu’il est encore temps. Les mots trop longtemps censurés, les mots qui débordent. Le choix de se taire, aussi. (site du théâtre de la Colline)

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Crédits photos : Simon Gosselin

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Parfois je me plais. Oui, je le dis tout de go. Il est toujours délicat de préparer sa saison en tant que spectateur. On surligne les spectacles qui nous intéressent, on note sur un calendrier et parfois, comme ce soir, on fait confiance. On se fait confiance, parce que le Québec est toujours dans notre coeur, on fait confiance en la programmation de Wajdi Mouawad qui m’a fait revenir de manière plus assidue dans ce théâtre. Je connaissais à peine la comédienne Marie-Eve Milot, vue dans le court métrage de « Life’s a bitch » (pour voir le film écrit par Guillaume Lambert et réalisé par François Jaros, clique ici), pas du tout l’autrice et la metteure en scène (j’ai tenté d’écrire « metteuse » et mon correcteur a écrit « menteuse »…). Je ne le répète jamais assez, le Québec me manque et l’argument de la pièce m’intriguait. Bien m’en a pris.

L’atmosphère dans la salle à notre arrivée est déjà surprenante. Il arrive souvent que les comédiens soient déjà sur scène, ce qui n’empêche pas les spectateurs de discuter, même parfois un peu fort. Là, rien de tout cela. Devant nous une jeune femme assise dans sa cuisine épluche des pamplemousses de manière frénétique, jette les épluchures au sol qui s’amoncellent. A notre entrée, on essaie de faire le moins de bruit possible, les gens chuchotent, tout est calme (avant la tempête). On la regarde. Puis on l’écoutera.

Car il s’agit d’une « seule en scène ». Le personnage de Marie-Ève Milot nous transpercera de son regard (et tu ne détournes pas les yeux quand elle fait ça). Tout comme on ne s’échappera pas de cette cuisine qui s’effrite. Son temps est limité tout comme son espace de vie. On ressent l’urgence, une certaine violence. Parler pendant qu’il en est encore temps. Tout n’est pas dit en force. Des variations délicates. On entend tout ce qu’elle dit. Qui parle ? Le personnage ? La comédienne ? La metteure en scène ? L’autrice ? Nous ? Moi ? Dire tout ce qu’on a tu. Puissance des mots qui sont au centre de tout grâce aussi à l’intelligence de la mise en scène.

On ne sort pas indemne de ce spectacle qui est une révélation à tous points de vue (jeu, mise en scène… et l’écriture). Je suis tombé en amour avec les mots d’Annick Lefebvre. Même sa note d’intention est bien écrite et pas « plate » comme ça l’est parfois. (je l’ai lue après le spectacle). Je m’énerve moi-même de voir des sous-titres quand je vois des films québécois. Je dis ça, peut-être, parce que j’ai l’habitude d’entendre cet accent et cette langue particuliere (grâce aux films, aux chansons, à mon beau-frère). Je m’énerve moi-même quand on moque cette langue tellement vivante. Non je ne dirai pas « Tabarnak », parce que c’est toujours ridicule quand les Français singent l’accent québécois. D’ailleurs je me tais. Non je ne me tais pas !

 

vu le samedi 11 novembre 2017 au Théâtre de la Colline, Paris.

prix de la place : 13€ (tarif carte adhérent)

 

LES BARBELÉS

texte : Annick Lefebvre

mise en scène : Alexia Bürger

avec Marie‑Ève Milot

dramaturgie : Sara Dion – assistanat à la mise en scène : Stéphanie Capistran-Lalonde – scénographie et costumes : Geneviève Lizotte assistée de Carol-Ann Bourgon Sicard – lumières : Martin Labrecque – musique : Nancy Tobin – conseils aux mouvements : Anne Thériault effets spéciaux : Olivier Proulx – maquillage coiffure : Gilly Toselo

production : Théâtre de Quat’Sous – Montréal

Jusqu’au 2 décembre 2017 au Théâtre de la Colline, Paris.

 

(une autre histoire)

Aujourd’hui, je n’écrirai pas une autre histoire. Pour ceux qui arriveraient en cours de route, j’accompagne toujours ma non-critique d’un texte plus ou moins fictif, parfois, souvent, plus intéressant que la non-critique elle-même (instant d’auto-célébration, teintée d’auto-flagellation) inspiré par la pièce, autour d’une anecdote vue ou entendue avant, pendant, après le spectacle, d’un souvenir lié au thème de la pièce… Mais aujourd’hui, je n’écrirai pas une autre histoire. Nous sommes dimanche matin, je suis encore en pyjama (seulement le bas, en haut j’ai un magnifique t-shirt offert par ma soeur, made in Yellowknife, Territoires du Nord Ouest, Canada), il fait gris et il pleut, j’en suis à mon deuxième thé (1336 – thé vert menthe), j’écoute Cat Power (paradoxalement ça ne me rend pas triste) et je tente d’écrire cette chronique. On pourrait dire que je me repose (nous sommes dimanche), que c’est mon cinquième article de la semaine et que la semaine prochaine je suis sensé en écrire six. Mais non. Pendant la représentation d’hier soir, Marie-Eve Milot a dit un mot à la place d’un autre, s’est tout de suite et admirablement rattrapée. Je me suis dit sur le coup : « Tiens, je vais écrire une autre histoire à propos d’un.e comédien.ne qui fait une seule erreur de texte, fait la baboune (fait la gueule) pendant les saluts et devient anxieux.se à l’idée de refaire la même erreur le soir suivant. » Mais après la représentation, j’ai repensé au texte, à la pièce. Ce matin, je repense encore au texte, à la pièce, aux images, à Marie-Eve Milot. Et je n’ai pas envie de parler (écrire) d’autre chose.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Des Territoires (… d’une prison l’autre…) (Baptiste Amann / Festival d’Automne à Paris)

(quand on ne lit pas la bible)

Après avoir sifflé la Marseillaise dans le premier épisode, les protagonistes de cette deuxième partie se retrouvent chacun emprisonnés dans des prisons différentes. Nous suivons en parallèle leurs nouvelles vies, entre la Santé (Paris), les Baumettes (Marseille), Fleury Mérogis et Emerald City.

 

(de quoi ça parle en vrai)

Quel type de révolution connaîtra le XXIè siècle ? s’inquiète Baptiste Amann. Auteur et metteur en scène invité pour la première fois au Théâtre de la Bastille, il présente le deuxième spectacle de sa trilogie intitulée Des territoires. Après (Nous sifflerons La Marseillaise), voici un nouveau sous-titre (…D’une prison l’autre…), une nouvelle parenthèse contenant toute la colère d’une fratrie coincée entre désir de fuir et réalité d’un quotidien, d’un monde, d’un héritage, qui la retient. (site du théâtre de la Bastille)

 

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Crédits photos : Sonia Barcet

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Je crois que j’en attendais trop et quand c’est le cas, on en sort forcément déçu. Appelez cela l’absence d’effet de surprise, le charme a moins opéré. Car j’avais beaucoup aimé la première partie (voir ma micro-critique alors que je savais encore moins écrire que maintenant : ici). J’espérais peut-être retrouver ces frères et soeurs dans un nouveau huis-clos (certes, cela reste un huis-clos, mais pas pareil : admirez cet argument de taille). J’ai retrouvé le dynamisme d’un Solal Bouloudnine (que je suis depuis « Italie Brésil 3 à 2 » et dont on devine qu’il occupera la place centrale dans la dernière partie), la plume de Baptiste Amann (ici parfois un brin emphatique) et cette famille dysfonctionnelle mais attachante, comme on dit. Il était évident que l’auteur et metteur en scène ne pouvait faire une redite de la première partie. L’histoire se devait d’évoluer, d’élargir son champ d’action, notamment par l’apport de nouveaux personnages (un peu comme dans une série, en deuxième saison où il arrive qu’on n’accroche pas à ce qui arrive aux nouveaux arrivants), d’un travail de scénographie plus sophistiqué (satisfecit pour la création sonore qui englobe la salle), mais cela s’éparpille. Je ne suis toujours pas convaincu par les sauts dans le temps (ici la Commune), même si j’entends, encore une fois, le besoin de « mettre en perspective les enjeux sociétaux contemporains avec ceux qui ont été au coeur des trois derniers siècles précédents ».

Une déception mais qui ne m’empêchera pas de voir la dernière partie prochainement. (oui, je suis comme ça, un partout : balle au centre)

 

vu le vendredi 10 novembre 2017 au théâtre de la Bastille

prix de la place : Pass annuel (13€/mois)

 

DES TERRITOIRES (…D’UNE PRISON L’AUTRE…)

Avec Solal Bouloudnine, Nailia Harzoune, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Anne-Sophie Sterck, Lyn Thibault et Olivier Veillon

Texte et mise en scène Baptiste Amann

Assistanat à la mise en scène Sarajeanne Drillaud – Régie générale et création lumières Sylvain Violet – Création sonore Léon Blomme – Scénographie Gaspard Pinta – Costumes Wilfrid Belloc

Jusqu’au 25 novembre 2017 au théâtre de la Bastille (Paris), du 5 au 9 décembre 2017 au Théâtre national de Bordeaux – Aquitaine, le 11décembre 2017 au Circa – Auch et du 13 au 15 décembre 2017 au Théâtre Sorano – Toulouse

 

(une autre histoire)

Du haut de son huitième étage, il peut voir la colline, les immeubles dans lesquels ses copains vivent des jours paisibles, une maison qui parait tout droit sortie d’un film tourné dans le sud des États Unis, un terrain vague, le parking. Parfois des voitures viennent se garer là, on entend de la musique résonner dans toute la cité ou en sourdine quand les fenêtres sont fermées, des bouteilles en verre se briser au sol. Le garçon jette souvent un oeil quand il entend quelque chose dehors, discrètement. Il ne descend jamais jouer avec les jeunes de sa cité. Quand il sort de sa tour, il est toujours sur ses gardes. Il se demande si en revenant il ne trouvera pas la bande de jeunes devant son immeuble, à squatter les marches. Le garçon sait qu’ils planquent leur matos dans les placards électricité du premier étage.

Le garçon a neuf ans. Un type de onze ans l’emmerde sur le chemin de l’école. Il dit un type car il parait déjà hyper vieux. Quand le garçon le reverra vingt ans plus tard, le type aura quarante ans de plus. Ils ne vivent définitivement pas la même vie. Le type l’emmerde. Le garçon croit voir le type sortir de sa poche un couteau sans lame, avec lequel il coupe les feuilles des buissons. La mère du garçon a beau lui dire qu’il ne doit pas montrer qu’il a peur, sinon le type l’emmerdera encore plus, le garçon n’est pas rassuré des masses. Il lui demande comment il s’’appelle. Il lui répond : « Alphonse ».

– Quel nom de débile ! Moi c’est Saïd. T’es un intello, toi, t’as la raie de côté, tu portes des lunettes en classe. Pourquoi on te voit jamais au terrain de foot ?

– Je sais pas.

– Mercredi tu viens, tu seras dans mon équipe, je te fais des passes et en échange tu fais mes devoirs, d’accord ?

– Et si je refuse ?, ose-t-il pour montrer qu’il n’a pas peur, alors qu’il fait dans son froc.

– Si tu refuses, ben rien. Je voulais seulement essayer de refourguer mes devoirs à quelqu’un. C’est tout. Ça marche plus. Je ramollis. Merde.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Compassion, histoire de la mitraillette (Milo Rau / Festival d’Automne)

(quand on ne lit pas la bible)

Spectacle belge de marionnettes qui nous conte comment Vincent Van Petegem a trouvé la recette du fameux sandwich « la mitraillette ». Dégustation en prime après le spectacle grâce au camion-frites « Chez Momo » déjà aperçu dans « Stadium » de Mohamed El-Khatib.

(de quoi ça parle en vrai)

Le milieu des ONG, Milo Rau l’a vécu de l’intérieur. Dans un décor post-apocalyptique tout en débris et mobilier éventré, le metteur en scène suisse entreprend un voyage au centre des tensions politiques de notre époque à travers des témoignages saisissants. (site de la Villette)

 

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Crédit photo : Daniel Seiffert (Photo de couverture : Gianmarco Bresadola)

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Cette année est l’occasion pour moi de rattraper quelques lacunes, notamment de découvrir le travail de certains metteurs en scène dont on entend beaucoup parler, comme Simon Stone (prochainement Les Trois Soeurs à l’Odéon) ou Milo Rau connu pour son théâtre documentaire. C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai suivi ce « Compassion, histoire de la mitraillette ». Et le mot « intérêt » est bien trop faible. Happé je fus pendant une heure et demie par les prestations de ces comédiennes, Consulate Sipérius (que nous entendons en début et fin de spectacle… spectacle, quel drôle de mot) dont on veut voir et entendre plus, tellement elle est juste et témoigne d’une présence remarquable et Ursina Lardi, virtuose comédienne de la Schaubühne de Berlin, qui livre une performance intense et impressionnante de retenue (ceci n’est pas une plaisanterie urinaire de mauvais goût) et qui nous tiendra en haleine durant tout le spectacle. On entend des mots, des histoires, on ne sait finalement pas si les comédiennes ont vraiment vécu ce qu’elles racontent mais on s’en fiche parce que ce qu’elles racontent (les génocides au Rwanda, au Burundi) s’est vraiment passé. Milo Rau évite toute culpabilisation mais n’en pense pas moins. La vidéo est utilisée à bon escient, les regards des deux actrices nous percent le coeur, on sort sonné grâce à ce spectacle très riche, aux multiples degrés de lecture.

 

Vu le mercredi 8 novembre 2017 à la Grande Halle de la Villette (salle Boris Vian).

Prix de la place : 8€ (tarif obtenu grâce à une amie qui travaille à la Villette)

 

Compassion, l’histoire de la mitraillette

Conception, texte et mise en scène : Milo Rau
Avec Ursina Lardi et Consolate Sipérius
Scénographie et costumes : Anton Lukas – Vidéo et son : Marc Stephan – Dramaturgie : Florian Borchmeyer – Collaboration dramaturgie : Mirjam Knapp, Stefan Bläske – Lumières : Erich Schneider

Une production Schaubühne Berlin

Jusqu’au 11 novembre 2017 à la Grande Halle de la Villette (salle Boris Vian), Paris, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

 

(une autre histoire)

Non, je ne parlerai pas du Togo. Oui, parce que j’ai fait le Togo. J’en suis sorti vivant. Je parlerai plutôt de… de… Je n’arrive plus à former les mots qui sont dans ma tête. Je ne dors pas. Je dors peu, je veux dire. Ça n’aide pas. Je cogite. Je me sépare en deux. Mon cerveau a deux lobes, je crois que c’est ça. J’ai toujours eu des mauvaises notes en biologie. Je suis un littéraire, parait-il. Au spectacle ce soir, une partie de mon cerveau, la gauche ou la droite, je ne sais jamais non plus. Ma phrase ne veut rien dire, je viens de me relire, mais je la laisse telle quelle. Grâce à cette partie, j’ai compris ce que je venais de voir, je l’ai même apprécié. Les questions, les Waouh s’entrechoquaient d’une manière inattendue mais toujours ininterrompue, dedans ma tête. L’autre côté du cerveau pensait à moi. J’en reviens toujours à moi, je sais. Je ne dors pas. Je dors peu, je veux dire. Pourquoi donc ? Peut-être parce que je devais prendre une décision importante. Plus question de tergiverser. Je savais. Tout était clair. Je ne vais pas m’investir dans une action humanitaire. J’ai l’impression de faire cela depuis plus de treize ans. Tout est clair. Jusqu’à demain, où je recommencerai à douter, à me gratter. Je dois profiter de ce moment pour tout noter, pour ne pas oublier. J’oublie tout en ce moment. J’oublie tout depuis un moment. Je dois me tatouer, comme dans le film, pour ne pas oublier : « Surtout n’oublie pas », c’est ce que je me ferai tatouer. Mais ne pas oublier quoi ? J’ai déjà oublié. Je ne dors pas assez, il doit y avoir un lien. Pourquoi ce spectacle a déclenché ce dont je ne veux pas parler ? Je pourrai parler/écrire pendant des heures.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

La révolte (de Villiers de L’Isle Adam/Les Déchargeurs)

(quand on ne lit pas la bible)

« La révolte » raconte l’histoire d’une révolte. Mais pas n’importe laquelle : LA révolte. Celle d’acteurs contre leur metteur en scène qui confond les répétitions  d’une pièce avec des séances chez le psychanalyste. Toute ressemblance avec la vie réelle ne serait que pure coïncidence.

 

(de quoi ça parle en vrai)

ALERTE SPOILER ou ALERTE DIVULGÂCHAGE

Il y a des heures où tient toute la vie et qui sonnent tous les adieux ! Élisabeth, femme du banquier Félix, tient les comptes depuis plus de quatre ans. Un soir, celle qui a triplé dans l’ombre la fortune de son mari lui crie sa révolte, pour la première et la dernière fois. Elle quitte son mari, le laissant stupéfait d’être abandonné. Elle part vivre enfin selon ses principes. Pourtant, quatre heures plus tard, elle revient, anéantie par l’impossibilité de suivre l’idéal auquel elle croyait. (site du théâtre des Déchargeurs)

 

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Crédits photos : iFou pour le Pôle Média

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Pendant sept ans, j’envoyai mon chèque de loyer à une société de gestion qui était établie à la rue de Villiers de l’Isle Adam, dans le vingtième arrondissement de Paris. Voilà mon seul lien avec cet auteur dont j’ignorais les écrits, jusqu’au soir où je vis « La révolte », aguiché par la présence de la lumineuse Maud Wyler, déjà appréciée, notamment, dans le Cyrano avec Philippe Torreton et surtout dans le film « Deux automnes trois hivers » avec un certain Vincent Macaigne.

A entendre le texte de la pièce, il ne parait pas qu’il date de la fin du XIXe siècle, tellement la langue et le propos (l’émancipation), sont actuels. Avec une économie de moyens et d’effets, la mise en scène donne la part belle aux deux acteurs émérites : la salle Vicky Messica du théâtre des Déchargeurs permet d’être au plus près d’eux et de guetter chacune de leurs expressions et de leurs respirations avec la confirmation du talent de Maud Wyler, juste et captivante.

« Que deviennent nos rêves devant cette bonne vieille réalité ? » : une phrase qui résonne encore dans ma tête et me fait frissonner (il faudrait également que j’augmente la température de mon chauffage électrique).

 

vu le mardi 7 novembre 2017 au Théâtre des Déchargeurs (Paris 01)

prix de la place : invitation (newsletter du théâtre des Déchargeurs)

 

La Révolte

Texte : Villiers de l’Isle-Adam

Mise en scène : Salomé Broussky

Comédien(s) : Dimitri Storoge et Maud Wyler

Lumières : Dominique Borrini

au Théâtre des Déchargeurs jusqu’au 9 décembre 2017

 

(d’autres histoires)

« Y a les jeunes de devant qui ont l’air de se plaindre qu’on parle trop fort ! Mais on fait ce qu’on veut. Ça n’a pas encore commencé, ça n’a pas encore commencé. Je parle, je parle. Cela dit, ils ne sont pas si jeunes que ça. Vous verrez quand vous aurez notre âge. Je ne sais pas ce que vous verrez, mais vous verrez. »

« Je suis au premier rang, je suis enrhumé, je passe mon temps à renifler et à me mettre du snif dans les narines et je vous emmerde. »

« Mais quelle idée j’ai eu de l’inviter à voir cette pièce ? Elle va se barrer, obligé. Premier rendez-vous, bam ! J’aurais dû l’inviter à voir « Edmond », ça aurait été plus guilleret. »

« On entend les boums boums de la salle d’à côté. Les basses, voilà, les basses. Je n’arrive plus à me concentrer sur les répliques. Tu crois que ça dérange les acteurs, ce bruit de fond ? Je pense peut-être trop fort ? »

« C’est fini ou c’est pas fini ? Les acteurs sont partis, mais y a pas le noir. Bon, je tente un clap. Un deuxième clap. Personne ne me suit ? J’aurais dû lire le programme, j’aurais peut-être deviné le dénouement. Parce que ça ne ressemble pas à un dénouement et en même temps, la fille, elle est partie, elle s’est émancipée comme on dit. Je crois que je me suis attrapé la honte. Les acteurs reviennent mais c’est pas pour le salut.»

« J’ai eu toute la soirée la chanson des Stooges : « Now I wanna be your dog ! » Dis tu veux ? »

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

Disabled Theater (Jérôme Bel/Festival d’Automne)

(quand on ne lit pas la bible)

Une expérience : Des spectateurs valides à qui on casserait les jambes s’ils veulent assister à la représentation d’une réalité parallèle : une présidente trisomique remplacerait un président adepte de Twitter à la tête d’une vraie société égalitaire et rendrait la vie de ses congénères bien plus paisible qu’aujourd’hui.

(de quoi ça parle en vrai)

Frappé par la présence puissante des interprètes handicapés du Theater HORA, Jérôme Bel a conçu un spectacle qui puisse les rendre visibles tout en leur laissant la place : place de danser, de s’exprimer, sans chercher à limiter le champ des possibles, ni à voiler la singularité dont leur corps est tout à la fois le signe et l’affirmation. (site du festival d’automne)

 

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Crédit photo : Kevin Lee (photo de couverture : Hugo Glendinning)

 

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Autant vous le dire immédiatement : je ne sais pas par quel bout prendre ce « Disabled Theater » qui présente frontalement ce que nous laisse deviner le titre de ce spectacle de Jérôme Bel, qui fut créé avant « Gala » (avec une troupe composée en grande partie d’amateurs), ce qui est important de noter, compte tenu d’un dispositif plus ou moins identique. La seule différence dans la forme est qu’il n’y a ici aucun moment véritablement collectif.

Je précise qu’il m’est difficile d’en parler car dans un passé très proche, j’ai travaillé durant trois ans, une fois par semaine, avec un groupe de jeunes adultes déficients mentaux et l’approche était totalement différente de celle-ci, puisque les spectacles que nous présentions étaient des créations écrites à partir des différentes improvisations du groupe sur un thème donné. Ces jeunes (une dizaine) étaient mêlés à d’autres jeunes en difficulté mais sociale ou scolaire et à des « valides » comme moi (moins jeune pour le coup). Le public savait ce qu’il venait voir, l’idée était de proposer un spectacle qui racontait une histoire sans se préoccuper de qui a quoi en plus ou en moins, tout en valorisant les membres de la troupe avec les capacités de chacun. Et en voyant ce spectacle, je ne sais plus quoi penser. À quoi je pensais, en fait ?

Ici un chat est un chat. Chaque individu se présente, nomme ce qu’il pense ou sait être son handicap et seul devant le public, joue, danse, cabotine, prend énormément de plaisir. Ou pas. Ou un petit peu. On ne sait pas trop. Ils sont acteurs. Ils se définissent comme tel. C’est leur métier malgré leur chromosome en plus et/ou leurs difficultés à s’exprimer, à retenir, etc. Le dispositif est très simple : un.e act.eur.rice parle ou danse, les autres attendent assis derrière lui/elle, on observe le premier plan, on saisit des instantanés de ce que font les autres derrière (qui ne sont pas forcément très attentifs).

La pièce a été répétée. Jérôme Bel leur demande (l’après-midi où j’ai vu le spectacle, c’était son assistante qui dictait les consignes) de rester une minute silencieux face au public (j’adore ça), de présenter un solo chorégraphié par leurs propres soins (Oui, tu auras dans la tête le reste de la journée « Lolita » d’Alizée et/ou le thème « Axel F. » par Crazy Frog). Certains ne respecteront pas à la lettre ce qui leur est demandé.

Jérôme Bel arrive, comme dans « Gala » à (plus ou moins) effacer le malaise que cette confrontation pourrait engendrer grâce à l’enthousiasme des protagonistes et nous interroge également sur la légitimité que telle ou telle personne peut avoir pour monter sur scène et danser et jouer et chanter. Quelle est la place de ces personnes dans le théâtre, donc dans la société ?

Pour paraphraser une des actrices qui ajoute, après avoir mentionné son syndrome de Down : « Et maintenant ? »

 

vu le dimanche 6 novembre 2017 à l’Espace Cardin – Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’Automne.

Prix de la place : 23€ (tarif abonnement)

 

Disabled Theater

Une production Theater Hora

Concept : Jérôme Bel (assisté de Maxime Kurvers, Simone Truong, Chris Weinheimer)
De et par : Remo Beuggert, Gianni Blumer, Damian Bright, Matthias Brücker, Nikolai Gralak, Matthias Grandjean, Julia Häusermann, Sara Hess, Tiziana Pagliaro, Fabienne Villiger, Remo Zarentonello

Dramaturgie : Marcel Bugiel

Dernière à l’Espace Cardin – Théâtre de la Ville le lundi 6 novembre 2017

 

(une autre histoire)

J’avais dit oui, mais je ne savais pas à quoi m’attendre. Je ne savais pas comment leur parler, je ne savais pas comment me comporter en leur présence.

« Parle-leur normalement. »

Je leur ai parlé normalement.

Lors des exercices d’improvisations, j’ai pris des voix différentes de la mienne, transformé ma démarche. J’avais comme l’impression de les singer. Mais non. Ils faisaient pareil. Parfois je me sentais comme le personnage de Sam Beckett dans la série Code Quantum, dans un épisode en particulier (« Jimmy, S02E08) où il se retrouvait dans la peau d’un trisomique. L’’esprit de Sam était toujours présent, mais il devenait maladroit, était impuissant devant certaines situations, comme l’aurait été un trisomique. « Je suis Sam » (qui est aussi le titre d’un film avec Sean Penn dans lequel ce dernier joue le rôle d’un attardé mental, comme quoi).

Certains avaient l’âge d’être mes enfants (techniquement, je veux dire, parce que dans les faits, j’étais loin d’en être là, mais c’est une autre histoire), d’autres me vouvoyaient. On est même parti trois jours en résidence à la campagne. J’ai coupé en deux des cachets, veillé à ce que l’un n’inonde pas la salle de bains, écouté en douce, dans mon lit, les conversations intimes de trois d’entre eux (les affres sentimentales sont partout pareilles), eu un peu peur quand un autre se parlait à lui-même.

Après les représentations, ils étaient tous contents. Pour la première fois, je ne pensais pas à moi. Je n’étais pas génial (alors que d’habitude, si), j’avais savonné sur un ou deux mots, mais ce n’était pas grave. J’ai même souri aux saluts, alors que d’habitude je ne souris jamais. Je n’étais pas là pour moi, j’étais là pour eux.

Pour la première fois depuis longtemps, je me suis oublié.

Mais je crois que je n’ai rien compris.

 

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito