CERVEAU (Clara Le Picard / Théâtre Joliette – Marseille)

(Ceci n’est pas une critique écrite par Axel Decanis mais par le camarade Laurent Suavet)

En cette période compliquée où les portes des théâtres sont fermées au public depuis plus d’un an (hormis quelques brèves semaines l’automne dernier), on est très heureux de pouvoir enfin revenir au théâtre de la Joliette cet après-midi, même s’il s’agit là d’une représentation professionnelle.

A vrai dire, on a même quelques attentes, ayant déjà vu plusieurs spectacles de Clara Le Picard au cours de ces dernières années. En effet, cette dernière nous a souvent séduit par son travail, et notamment par cette manière singulière et assez ludique de nous faire entrer dans un univers, de le restituer avec une apparente facilité et légèreté, en nous faisant oublier le travail de documentation qu’il avait pu nécessiter.

Avec « Cerveau », Clara Le Picard signe probablement son spectacle le plus ambitieux et le plus personnel, comme si elle était allée creuser la part la plus intime d’elle-même. Au départ, il y a un trauma douloureux : sa mère, la comédienne Françoise Lebrun (connue des cinéphiles pour son rôle inoubliable dans le film de Jean Eustache « La maman et la putain », mais aussi pour ses prestations chez Paul Vecchiali, Arnaud Desplechin, Guillaume Nicloux…) tombe soudainement dans le coma, suite à un AVC. A partir de cet épisode éprouvant, Clara va pourtant en tirer un spectacle lumineux, où théâtre, danse et musique cohabitent harmonieusement, aux côtés de considérations plus scientifiques avec paroles de neurologues sur le cerveau et son fonctionnement.

Alors qu’elle a souvent tenu le rôle principal de ses spectacles (même si elle ne jouait pas dans le dernier que nous avions vu d’elle, « A silver factory », consacré à la Factory d’Andy Warhol), Clara Le Picard a fait cette fois le choix de s’accorder un rôle un peu plus en retrait, et d’aller chercher une alter ago fictionnelle, qui lui permettrait de mettre un peu de distance avec ce récit (un peu à la manière de ce qu’avait fait un Nanni Moretti dans « Mia madre »).  Interprétée par la jeune et vibrante Flora Chéreau (qu’on avait vue dans plusieurs spectacles lors de son cursus à l’ERACM, et qui avait enchainé à sa sortie de l’école avec une année à la Comédie Française), le choix s’avère judicieux, celle-ci apportant à la fois une gravité et une belle profondeur au personnage de Laura, une metteuse en scène confrontée à l’angoisse de la disparition de sa mère, et à la culpabilité que cette disparition pourrait générer (sentiment on ne peut plus universel, chacun d’entre nous ayant été, est ou sera amené à traverser cette situation).

© Pierre Gondard

Alors que sa mère est dans le coma, Laura repense alors au souhait que celle-ci avait de jouer « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf (roman qui semble pourtant peu se prêter à une adaptation théatrâle, comme le souligne Laura, puisque composé essentiellement des pensées de son héroine). Comme elle l’avait fait il y a quelques années avec « All Bovarys », variation et réflexion autour du personnage de Mme Bovary, créé par Flaubert, Clara Le Picard va cette fois convoquer une autre héroïne classique de la littérature et s’interroger sur l’œuvre de Virginia Woolf, citant notamment plusieurs monologues lus et enregistrés par Françoise Lebrun, qui nous accompagneront durant tout le spectacle.

Si on a surtout évoqué le contenu et le fond du spectacle, la forme nous a également bluffé par sa maitrise absolue et le soin minutieux apporté à chaque détail, CLP ayant visé un spectacle total et négligé aucun aspect. Il y a bien sûr cette musique électronique envoûtante, composée par Fred Nevchéhirlian (compagnon de Clara), qui se mêle merveilleusement à la voix off prononcée par Françoise Lebrun (même si le lien n’est pas direct, on n’a pas pu s’empêcher de repenser au groupe de Michel Cloup, Diabologum, qui avait samplé il y a plus de 20 ans le fameux monologue de Veronika dans « La maman et la putain ». Et constater à quel point la voix de Françoise Lebrun, celle d’hier comme d’aujourd’hui, se prête bien à la mise en musique). On évoquera aussi les nombreuses scènes de danse chorégraphiées par la célèbre Kaori Ito, les vidéos d’Arnold Pasquier projetées en arrière-plan, une scénographie à la fois dépouillée et impressionnante, et un travail sur la lumière tout à fait pertinent. 

 Ainsi, s’il est souvent question du cerveau et de son fonctionnement, de ses mécanismes (y compris le cerveau du spectateur et les différentes parties qui sont sollicitées lorsqu’il regarde le spectacle), on ne peut pas franchement dire qu’il s’agit d’un spectacle cérébral, celui-ci faisant plutôt appel aux sensations, aux pulsations, à l’expression corporelle et à la danse. D’ailleurs, ce qui résonne en nous quelques jours après la représentation, ce sont avant tout des sensations et des émotions, telles celle provoquée par un tube 80’s de Kim Wilde jouée dans une version 33 tours et en français.   

Par ailleurs, si ce spectacle a été pensé et écrit bien avant le Covid, certains dialogues, certaines angoisses relatives à l’avenir et aux questions écologiques résonnent ainsi fortement avec ce que nous vivons actuellement. Ou comment essayer d’envisager l’avenir avec optimisme quand on a un présent aussi sombre devant nous.

Teinté par ces angoisses, « Cerveau » n’a pourtant rien de mortifère et nous est surtout apparu comme un éclatant hymne à la vie.

CERVEAU

texte & projet Clara Le Picard

avec Clara Le Picard, Françoise Lebrun, Lorenzo Vanini, Flora Chéreau

vidéo Arnold Pasquier – chorégraphie Kaori Ito – musique Fréd Nevché – scénographie Marine Brosse & Caroline Frachet – lumière Abigail Fowler – régie Emilie Tramier – conseillère à la dramaturgie Marie Vayssière – assistante à la mise en scène Jeanne La Fonta

production Compagnie à table

les 28 et 29 janvier 2022 au Théâtre Joliette à Marseille

Vu au Théâtre de la Joliette à Marseille le jeudi 25 mars 2021

Prix de la place : Représentation professionnelle

Texte : Laurent Suavet

2 réflexions au sujet de « CERVEAU (Clara Le Picard / Théâtre Joliette – Marseille) »

Laisser un commentaire