Littoral – répétition (Wajdi Mouawad / La Colline)

(de quoi ça parle en vrai)

« Apprenant la mort de son père, une jeune personne troublée recherche un lieu de paix pour enterrer son corps. Elle décide alors de lui offrir une sépulture dans son pays natal. Mais ce coin du monde est dévasté, les cimetières sont pleins et les proches de son père rejettent sa dépouille. Lors de ce périple, elle fera la rencontre de Simone, une fille en colère qui elle aussi a dû affronter un deuil, et de nombreux autres jeunes gens de leur âge. Sur leur chemin, ils devront éprouver la réalité les uns des autres et faire en sorte que ce père devienne le symbole de l’être cher perdu par chacun.

Littoral a été créé en 1997 par une bande d’amis comédiens trentenaires, traversés par nombre de questions liées à l’existence. Vingt ans plus tard, la nouvelle génération partage les mêmes angoisses quant à l’amour, la peine, la peur, la mort, d’autant plus face à la situation inédite que nous vivons. Ainsi, la création 2020 met toujours en lumière la préoccupation d’une génération à l’égard d’une autre, cette fois à travers deux équipes, l’une majoritairement féminine, l’autre principalement masculine. » (source : ici)

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Droits réservés La Colline

(ceci n’est pas une critique mais…)

Mercredi 1e juillet 2020, 19h45. Le rendez-vous est pris sur le parvis de la Colline. Masque sur le nez, gel hydroalcoolique accroché au ceinturon, bras tendus pour respecter le mètre de distance… Depuis combien de jours déjà n’ai-je plus remis les pieds dans un théâtre ? On reprend en douceur avec une répétition publique, mais pas n’importe laquelle : Littoral de Wajdi Mouawad.

Parmi les (trop) nombreux spectacles reportés ou annulés en cette funeste période figurait « Notre Innocence » du même Wajdi Mouawad. Le Maître du Château devait reprendre cette pièce, qui était loin de faire l’unanimité entre Je, Moi et Moi-même. Je me souviens avoir livré ici-même une chronique légèrement assassine, notamment envers certain.e.s comédien.ne.s, que je reconnais à mon arrivée devant le théâtre.

(toujours cette appréhension – bête – d’être reconnu par les gens dont je critique la prestation, alors qu’il est impossible que cela soit le cas)

Un agent du théâtre arrive, nous explique les modalités de ce moment intime (nous sommes peut-être une petite vingtaine de spectateurs)… Pardon, j’oubliais… Wajdi Mouawad a donc décidé de rouvrir son théâtre cet été avec la reprise et re-création d’une de ses plus fameuses pièces, interprétée, notamment, par les jeunes artistes de « Notre Innocence », d’où leur présence devant nous. Je suis un peu rouillé, je vous prie de bien vouloir m’excuser, bla bla bla.

Le grand Wajdi Mouawad, dont j’ai tant apprécié le Journal de Confinement, nous salue, demande le calme sur le plateau pour nous présenter brièvement ce que nous allons voir ce soir : les répétitions des scènes 38 et 39, quasiment la fin de la pièce. Le spectacle se joue avec une double distribution : principalement féminine ou principalement masculine.

(Wajdi m’a parlé, Mouawad m’a vu !!! (pardon, midinette un jour…))

La jeune troupe issue du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, accompagnée pour l’occasion par Gilles David et Patrick le Mauff, se connait depuis longtemps. On sent chez ces jeunes comédien.ne.s des automatismes, une complicité évidente entre certains d’entre eux, une petite rivalité parfois ? Je ne sais pas si c’est parce qu’on est là, on constate un enthousiasme que j’estime parfois exagéré. D’autres sont déjà concentrés, observent. C’est drôle de se souvenir des acteurs d’une pièce à l’autre. Julie Julien dans l’Enfant-Océan, Hatice Özer dans Désobéir, Maxence Bod dans Convulsions, je reconnais certain.e.s que j’avais plus ou moins apprécié.es dans Notre Innocence.

Alors ? Qui joue le Père ? Qui joue Wilfried ? Le Réalisateur ?

Une toile blanche en arrière scène, un espace de jeu rectangulaire auto-collé au sol, des musiciens de part et d’autre de la scène et les acteurs.

Pour commencer, les deux distributions jouent en même temps. Mais c’est l’équipe masculine qui parle. Court monologue de Wilfried, dos au public, ici interprété par Maxime Le Gac-Olanié (Hatice Özer le suit du public). Wajdi Mouawad fait les cent pas, avant scène. « Soigne tes finales ». Puis le Réalisateur prend la main. Maxence Bod sautille dans tous les sens (suivi comme son ombre par son alter-ego féminine, Jade Fortineau), ne tient pas en place, il crie et Wajdi Mouawad parait réinventer sa mise en scène en direct. Il ne regarde pas assis dans le public. Il est avec les acteurs, rejoue la scène, réexplique. Il est précis, fait recommencer la scène pour un mot, une intonation : « Insiste sur « ici »… Gesticule moins, tu t’épuises… » Il a déjà en tête qu’il y aura deux fois moins de monde sur scène quand la pièce se jouera. L’équipe féminine rejoint le banc de touche. Nous voyons la scène jouée uniquement, à une exception près, par les garçons de la troupe.

Peut-on juger de la prestation d’acteurs, d’une pièce, durant des répétitions ? Sûrement pas. Même si… L’exercice est hyper ingrat, car la comparaison est là. Quand vient le tour des filles, Wilfried devient Nour, le Réalisateur la Réalisatrice et tout parait moins forcé, plus fin, léger même. Tout cela vient confirmer le bien que j’avais pensé de Jade Fortineau dans Notre Innocence (j’ai retrouvé mes notes), de Hatice Özer.

Je m’en veux de ne pas avoir pris mon carnet ce soir. J’ai peur d’oublier des choses. J’aimerais mieux rendre compte de ce moment forcément unique : assister à des répétitions d’une pièce de Wajdi Mouawad.

Deux heures sont déjà passées, c’est la pause. Je décide de m’éclipser. La fin de l’année est rude. J’ai besoin de me reposer pour passer au mieux les deux derniers jours d’une année si particulière. Éprouvante. Ça m’a fait du bien de revoir jouer, même le temps d’une répétition. Ça m’a fait du bien, oui.

 

LITTORAL

texte et mise en scène Wajdi Mouawad

sur une idée originale de Isabelle Leblanc et Wajdi Mouawad

avec Emmanuel Besnault, Maxence Bod, Théodora Breux, Hayet Darwich, Gilles David de la Comédie-Française, Lucie Digout, Jade Fortineau, Pascal Humbert, Julie Julien, Maxime Le Gac-Olanié, Patrick Le Mauff, Hatice Özer, Lisa Perrio, Charles Segard-Noirclère, Darya Sheizaf, Paul Toucang, Yuriy Zavalnyouk

assistanat à la mise en scène Vanessa Bonnet

musiques originales Pascal Humbert et Charles Segard-Noirclère

du 7 au 18 juillet 2020 à la Colline, Paris

Texte (sauf mention contraire) et photo de couverture : Axel Ito