La Brèche (Naomi Wallace / Tommy Milliot / CentQuatre)

(de quoi ça parle en vrai)

« Dans les années 1970, quatre adolescents scellent un pacte pour protéger le plus fragile d’entre eux. Ils se retrouvent quatorze ans plus tard : Acton est mort. Avec La Brèche de Naomi Wallace, Tommy Milliot explore les rouages d’une tragédie qui, tout en dressant le portrait d’une jeunesse sensible, dévoile les violences de l’Amérique moderne. » (source : ici)

© Christophe Raynaud de Lage

(ceci n’est pas une critique, mais…)

La jeunesse américaine des années 70 est décidément une source d’inspiration inépuisable, puisqu’après le traumatisant « Jerk » de Dennis Cooper (mise en scène de Gisèle Vienne avec Jonathan Capdevielle), voici donc une nouvelle pièce qui dépeint les relations « tout à fait saines » entre quatre adolescents du fin fond des États-Unis. La comparaison s’arrêtera là, mais j’aime bien trouver des points de contact avec d’autres pièces. Aussi me suis-je amusé à entendre de nouveau la chanson « Nights in white satin », une semaine après l’avoir entendue dans « Le Côté de Guermantes », mais je m’égare.

La narration est hyper claire. Nous assistons à des aller retours entre 1977 et 1991. Au départ, ils étaient quatre : Frayne, Hoke, Judith et Acton. Ils ne seront plus que trois, quatorze ans plus tard, après le décès d’Acton, que nous ne verrons pas dans sa version adulte. Les époques s’alternent, voire s’entrechoquent. Parce que la disparition d’Acton n’est pas anodine, parce que les trois qui restent, dont la soeur d’Acton, ont une certaine responsabilité dans la mort de celui-ci, un suicide.

Les jeunes acteurs qui constituent la troupe sont tous très crédibles et nous embarquent totalement dans ce drame. Ok, y en a un qui m’a un tout petit peu agacé, tellement je voyais les ficelles de son jeu (mon personnage a un tic, donc, de manière régulière, je vais me gratter la joue gauche…) et ce fut une des rares fois où j’eus envie de crier : « Mais bordel, articule, on ne comprend rien, et encore tu es sonorisé ! » En parlant de sonorisation, j’étais placé au quatrième rang et c’était plutôt gênant ce micro-décalage entre la voix qu’on entendait et le son.

La mise en scène est simple et efficace, les créations sonore et lumineuse apportent beaucoup à cette atmosphère pesante. Le tout souligne la cruauté, la bêtise de ces personnages. Et le long silence avant les applaudissements et les saluts en disent long sur l’impact de cette pièce sur les spectateurs.

Même si je ne fus pas aussi bousculé qu’après le fameux « Jerk », « La brèche » n’en reste pas moins une pièce dont on ne ressort pas indemne. (il est toujours bon de ressortir ce genre de formules de temps en temps)

LA BRÈCHE

texte : Naomi Wallace (traduction : Dominique Hollier)
mise en scène et scénographie : Tommy Milliot
dramaturgie : Sarah Cillaire – lumières et régie générale : Sarah Marcotte – sons : Adrien Kanter – conception et construction décor : Jeff Garraud – assistant mise en scène : Matthieu Heydon
avec : Lena Garrel, Matthias Hejnar, Roméo Mariani, Dylan Maréchal, Aude Rouanet, Edouard Sibé et Alexandre Schorderet

À Aix-en-Provence les 17 et 18 novembre 2020 puis à Reims du 16 au 18 mars 2021

(une autre histoire)

En arrivant au Cent Quatre, avec mon programme, on me donne une étiquette « Ceci n’est pas une place ». Je suis étonné. Je n’avais pourtant pas annoncé mon arrivée, j’avais payé ma place.

Je dis : Vous voulez dire « Ceci n’est pas une critique. »

Il dit : Pardon ?

Je dis : « Ceci n’est pas une critique ». Sur l’étiquette, il est écrit « Ceci n’est pas une place ». « Ceci n’est pas une critique », c’est moi. « Ceci n’est pas une place », ceci n’est pas moi.

Il dit : Je ne comprends pas.

Je dis : Moi non plus.

Il dit : Ceci n’est pas une place.

Je dis : Une critique.

Il dit : Une place.

Je dis : Une critique. Je suis très fort à ce jeu-là.

Il dit : Ceci n’est pas un jeu.

Je dis : Une critique.

Il dit : Ceci n’est pas convenable.

Je dis : Critiquable alors ?

Il ne dit rien.

Je ne dis rien.

Il scanne mon billet et me laisse passer sans rien me dire d’autre. Autour de moi un groupe de lycéens, cette masse m’emporte en son sein. Je ne peux fuir. Je lance un regard éploré à l’agent d’accueil.

Il dit : Ceci n’est plus possible.

Vu le samedi 10 octobre 2020 au Cent Quatre (Paris)

Prix de ma place : 12€ (abonnement)

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

3 réflexions au sujet de « La Brèche (Naomi Wallace / Tommy Milliot / CentQuatre) »

  1. Bonsoir monsieur Ito, j’aime bien ce que vous faite enfin votre écriture que je découvre. Ce soir je suis allée voir La Brèche, non pas à cause de vous mais parce que beaucoup d’éléments m’y poussaient et que des places se sont libérées, pour cette dernière, du fait de l’avancement de l’heure de la pièce. Mais je n’ai pas du tout vu la même chose que vous ! Je ne sais pas si ce soir les comédiens étaient perturbés de ne pas jouer à l’heure habituelle (du fait du couvre feu), si c’est parce que j’étais trop haut placée dans la salle, sans doute… Mais non, pour moi rien ne s’est passé ce soir, aucune intensité, aucune brèche aucun relief, c’était tellement triste de voir ça. Je vous trouve bien sympa avec le jeune acteur au jeu de tics effronté, c’était tellement grossier, digne d’un spectacle de fin d’année. Et malheureusement le jeu des autres, jeunes et adultes, ne m’a pas plus emballée, plat, statique, sans coffre, je n’ai rien ressenti. Ils ne savent même pas chanter les maitre chanteurs… Pour vous dire le geste qui m’a le plus marquée c’est la bouteille de bière éclatée en mille morceaux par terre et la réplique que je retiens c’est celle des deux parent aux pyjamas assortis… Certes je ne voyais pas très bien de là où j’étais, mais il faut dire que le manque de mise en scène et de lumières ne m’a pas aidée à entrer dedans. Et je suis restée dehors tout le long. Même les tentatives alternatives avec des lampes de poche d’adolescents noctambules ou la neige qui tombe pitoyablement derrière les silhouettes des deux comédiens m’ont laissée de marbre. Je ne dis pas que la pièce – enfin le texte – est sans intérêt, au contraire, il y a une ou deux trouvaille, le jeu exutoire du père qui tombe, l’alternance des époques ; il y aurait du y avoir une sorte de crescendo, quelque chose qui pointe et qui nous étreint, mais non, rien. D’ailleurs je n’ai pas tout entendu à cause de certaines dictions hasardeuses. Je me suis emm..dée et j’étais même un peu gênée d’avoir embarqué quelqu’un avec moi sur ce coup là (mais pas de rancune apparemment). Et là, quelques heures, après il ne me reste décidément rien. Pas d’image, pas de son, pas d’impression. J’ai même eu un sentiment bizarrement inverse à celui que l’on ressent souvent en sortant du théâtre et qui est ce manque d’intensité de la vie « extérieure », la platitude de la vraie vie par rapport à ce que la scène nous a donné. Ici, aux abords du 104, à quelques minutes du début du premier soir de couvre feu, il y avait dans l’air quelque chose de bien plus palpable et théâtral qu’à l’intérieur…
    Mais je crois que j’ai un début d’explication à ça. Il y a une semaine jour pour jour, je suis allée voir une autre pièce, pas très loin de là, aux Bouffes du Nord que j’affectionne. Cette autre pièce conte la jeunesse (de 14/17 ans), ses émois ses effrois, ses états d’âmes ses pactes, ses errements et ses lourds secrets. Et le plus étrange c’est que les deux pièces ont la même scène d’ouverture. La lumière se fait sur 3 jeunes, adolescents, 2 garçons et 1 fille, campés sur un plateau nu, sans décor. Les deux garçons sont meilleurs amis, frères quasiment, frères de cœur et de conneries, et de secrets bien sûr ; il y a le caïd celui qui roule des mécaniques et l’autre le second, celui à qui le caïd donne des ordres qu’il doit exécuter par loyauté, dans le deux cas. Dans les deux cas, la fille est seule à droite du plateau (côté cour ou jardin je ne sais pas je ne suis pas du métier), elle a le même âge qu’eux (14/16 ans on ne sait pas, vu qu’ils mentent sur leur âge, dans les deux cas), ou plus âgée, en tout cas elle « fait plus ». Elle est à la fois en danger et impressionnante, elle les impressionne ; elle les subjugue même, elle est pour eux source de désir et de méfiance, voire de peur, à la fois ; ils sont petits à côté d’elle, dans les deux cas. Dans le deux cas la fille est forte et semble ne pas craindre ces deux jeunes (puceaux ?) inconnus plus ou moins menaçants. Dans les deux cas, un dialogue tendu, un rapport de force s’étire entre le duo et la fille. Il est question de menace et de désir, les mecs plastronnent, montrent du muscle, la fille fait face avec fierté et courage. Dans les deux cas. Et puis un quatrième personnage entre en scène, et la différence commence… Même scène d’ouverture, jusqu’au placement des comédiens sur le plateau, troublant.
    Mais la ressemblance s’arrête là car n’est pas Pommerat qui veut, et l’incroyable claque salutaire que je me suis prise pendant chaque seconde des Contes et légendes il y a une semaine m’aura sans doute rendu totalement insipide une pièce dont la première scène était étonnamment la même mais pas du tout du tout la même. Allez voir le Pommerat quand il repassera ! Je dis ça mais bon moi je ne suis pas une critique…

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    1. Bonjour,
      Merci d’avoir pris le temps d’écrire ce commentaire. Je ne vais pas reprendre point par point votre argumentaire. Vos critiques concernant la pièce s’entendent et sont très pertinentes. Je vous rejoins par rapport à Joël Pommerat. Voilà un metteur en scène qui a souvent inspiré d’autres metteurs en scène, je pense aussi à Pauline Bureau avec « Sirènes » ou « Mon coeur ». Quant au parallèle avec « Contes et légendes », je pense que ce n’est qu’une pure coïncidence, sachant que Joël Pommerat a créé ce spectacle en novembre 2019 et que « La Brèche » a été présentée à Avignon en juillet 2019 et surtout que le texte a été édité aux Etats Unis en 2015.
      Je vous rejoins à 100% sur Contes et légendes que j’avais eu la chance de voir (et de chroniquer aussi) aux Amandiers à Nanterre début 2020. Peut-être le reverrai-je, comme certains de mes camarades !

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  2. non non je ne pensais pas à une copie mais vraiment à une pure coïncidence. Juste quelques minutes qui se ressemblent, plus ou moins, et les conséquences. A mon tour de vous rejoindre sur Contes et Légendes. J’ai lu votre chronique du coup et suis parfaitement d’accord sur cette immense qualité de direction et de jeu ; et ce secret de fabrication… dont j’ignorais tout en y allant et qui m’a « cueillie » aux saluts (j’étais au premier rang au milieu…) J’aurais aussi beaucoup aimé voir le travail derrière ce prodige. J’avais eu l’occasion de parler avec les artistes à la sortie et de leur dire combien j’avais été bluffée par leur performance.

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