Seras-tu là ? (Solal Bouloudnine / Monfort Théâtre)

(de quoi ça parle en vrai)

« Seras-tu là ? c’est un spectacle comique : « J’y parle de mon idole Michel Berger mais aussi beaucoup, beaucoup de la mort et de l’angoisse maladive qu’elle provoque chez moi, de l’atrocité du cancer, des maladies vénériennes et cardiovasculaires, gastriques aussi, et cérébrales, de la solitude qui me ronge terriblement, de l’incommunicabilité entre les êtres, de l’enfance insouciante et naïve qui s’en est allée à jamais, viciée par les assauts du monde insurmontable, injuste et cruel. » Bref, ça va être drôle. Seras-tu là ? » (source : ici)

 © Pauline Le Goff

(ceci n’est pas une critique, mais…)

(Je ne suis plus trop certain de savoir comment faire. Je veux dire, écrire une critique. Ou une non-critique. Je ne sais plus. Même là-dessus, je ne sais plus ce que je fais normalement. Je vais faire comme si de rien n’était, avec des digressions (beaucoup trop, comme d’habitude), pis un peu plus bas dans l’article, je ferai comme si de tout était, même si je ne suis pas certain que syntaxiquement parlant, cela soit tout à fait correct.)

Je n’attendais pas Solal Bouloudnine au tournant, je l’attendais seulement, si je puis dire, avec une grande impatience. Cet homme (comme moi !) né à Marseille dans le 12e arrondissement (comme moi !) est enfin seul sur scène et dit des mots bien à lui, puisqu’il y raconte sa vie. En partie. Dès les premières minutes nous retrouvons la vitalité que nous lui connaissons depuis « Italie Brésil 3 à 2 » (écriture Davide Enia, mise en scène Alexandra Tobelaim et découvert à la Manufacture à Avignon en 2013). Solal Bouloudnine nous lance le défi de comprendre une pièce qui commence par la fin et se terminera par le milieu. Le temps nous est compté et heureusement que la fin sera le milieu, parce qu’on aurait presque envie que cela ne se termine jamais.

Le petit Solal prend conscience de sa mortalité à l’âge de six ans onze mois et vingt jours, alors qu’il passait des vacances insouciantes à quelques encablures de celle du chanteur Michel Berger qui décéda d’une crise cardiaque après un match de tennis en plein cagnard à l’âge de 44 ans (j’en ai 2 de moins mais je ne joue plus au tennis, donc ça devrait aller). Je ne sais plus qui a dit ça (sûrement Cioran), que nos parents nous condamnaient à mort dès notre naissance.

(C’est là où je me dis que j’aurais dû prendre des notes pendant le spectacle pour me souvenir précisément et que cette chronique va forcément aller dans tous les sens, qu’il faudra mettre les phrases dans le bon ordre. Je poursuis.)

La force de ce genre de spectacle, c’est de se reconnaître malgré le caractère très personnel de la forme, le solo introspectif (et vous saurez de quoi je parle le dimanche 7 mars, aguiche qui n’a rien à faire là, j’en conviens). Solal Bouloudnine parle de lui et nous pensons à nous. D’ailleurs, il ne parle pas qu’à la première personne du singulier, il campe une palanquée de personnages hauts en couleur (la mère, le père – pourquoi ai-je écrit dans cet ordre-là ? – Michel Berger, un entraîneur de foot, une bouchère, la copine que personne ne regarde…) et il le fait avec acuité, un sens du rythme hors du commun. C’est là où on retrouve toute la palette de jeu qui nous avait tant plu dans la trilogie de Baptiste Amann « Des territoires… ». Pas étonnant de retrouver un de ses camarades de jeu, Olivier Veillon à la co-mise en scène et d’entendre les prénoms « Lyn, Samuel, Baptiste… » dans le spectacle.

On aime également le sens du détail, et dans le décor (s’amuser à reconnaître tous les stickers collés sur le bureau ou le lit du petit Solal (Code Quantum, l’OM, etc.), la peluche Gizmo…) et dans les mots (le vocabulaire chirurgical, certains lieux de Marseille (c’est moi qui ai fait un petit « ah oui » à l’évocation du Badaboum Théâtre).

« Seras-tu là ? » est un spectacle riche, touchant (les images d’archives et autres photos ou vidéos où on voit Solal enfant et adolescent à l’appui), drôle, rythmé, profond, qui confirme tout le bien que je pensais de Solal Bouloudnine. Et je sais que je reverrai ce spectacle quand les théâtres rouvriront, avec vous je l’espère.

SERAS-TU LÀ ?

Texte :  Solal Bouloudnine, Maxime Mikolajczak, Olivier Veillon

Mise  en scène : Maxime Mikolajczak, Olivier Veillon

Jeu : Solal Bouloudnine

Régie générale : François Duguest – Costumes : Elisabeth Cerqueira – Administration : Antoine Lenoble – Production : Mathilde Bonamy – La Loge – Diffusion : Lucas Bonnifait – La Loge

Création publique en juillet 2021 aux Plateaux Sauvages – Paris, dans le cadre du festival Paris l’Été

(une autre histoire)

Ok, nous sommes un jour comme les autres, entendre un jour sous Covid-19 avec tous les lieux qu’on aime, fermés. Nous sommes mercredi après-midi, je me dirige vers le Monfort Théâtre et je vais voir un spectacle. Quelque chose ne va pas dans ce début d’histoire. Je vais au théâtre, voir un spectacle. J’appréhende. C’est pas « Je vais au théâtre après trois mois de fermeture », non, c’est « Je vais au théâtre alors que c’est toujours fermé. » Une représentation professionnelle. Mon syndrome de l’imposture est à son zénith. Heureusement, à peine arrivé, je vois une personne que je connais. Entre mon bonnet et mon masque, elle peine à me reconnaître, mais ça y est, elle me sourit, elle me parle et me présente même à d’autres personnes. Il y a du monde. Je reconnais des journalistes ici, des comédiens là. Nous nous asseyons dans la « cabane » du Monfort Théâtre. Je repense à Nicolas Bouchaud ou Mohamed El-Khatib que j’avais vu ici. Je ne suis pas tout seul et ça fait du bien. Je ne suis pas tout seul à m’esclaffer et ça fait du bien aussi. Quatre saluts plus tard, je suis dehors, je m’en vais sans dire au revoir comme à ma mauvaise habitude. (pourquoi dit-on « comment à MON habitude alors que le nom commun « habitude » est féminin ?).

Dans le tram bondé, je note dans mon carnet le titre du spectacle que je viens de voir. A côté, des titres barrés : SHOWGIRL (Jonathan Drillet & Marlène Saldana) – CORIOLAN (François Orsoni – mais reporté en juin au Théâtre de la Bastille) – CHASSER LES FANTÔMES (Collectif Ildi Eldi) – LES FEMMES DE BARBE-BLEUE (Lisa Guez) – TEMPEST PROJECT (Peter Brook & Marie-Hélène Estienne).

Dans le tram toujours bondé, je pense à la chance que j’ai eu d’être là, d’avoir été libre ce jour-là, d’avoir été invité aussi, à un spectacle que j’aurais dû voir, que je voulais voir (en janvier aux Plateaux Sauvages – j’avais même acheté ma place), à la chance d’avoir vécu cette parenthèse enchantée. Je pense à cela avant de retourner dans la monotonie de nos vies.

Vu le mercredi 3 février 2021 au Monfort Théâtre (Paris)

Prix de ma place : invitation

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

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