Dans la solitude des champs de coton (Koltes / Auzet / Plateaux Sauvages)

(de quoi ça parle en vrai)

« Bernard-Marie Koltès met en scène un dealer et son client. Deux femmes, étranges et étrangères, entraînées dans la violence du désir. Ne se dévoilant qu’à demi-mot, chacune est possédée par le besoin de prendre le pouvoir sur l’autre et de jouir de sa défaite. Elles n’ont pour seules armes que l’espace à occuper, la parole et le silence. L’intérieur de l’autre, qu’il s’agit d’obliger à se dévoiler, à se mettre à nu. En poussant son adversaire à désirer, c’est la mort symbolique de l’autre qu’elles poursuivent. Lorsque cette transaction du désir est portée par deux femmes, le questionnement de la relation à l’autre offre un autre versant. » (source : ici)

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Je ne suis pas un afficionado de Koltès, même si j’ai déjà découvert son écriture à 17 ans avec Roberto Zucco (le personnage de John Travolta s’appelait Danny Zuko dans Grease, hasard ? Je ne crois pas), même si j’ai joué un extrait de Quai Ouest dans le cadre d’un atelier théâtre (dans lequel je disais ne jamais me débarbouiller, ce qui me fait dire que j’écris cette chronique alors que je n’ai toujours pas pris ma douche et qu’il est 13h passées). Pourtant quand on rentre dans cette pièce jouée par les deux immenses actrices que sont Audrey Bonnet et Anne Alvaro, on n’en ressort pas (indemne). Je mens. On en sort, mais on se rend dans un ailleurs. Je m’explique.

La version proposée par le metteur en scène Roland Auzet est « un spectacle itinérant sous casque ». J’aurais déjà dû voir ce spectacle en février 2016, en plein air, dans le quartier de la Chapelle, tout près des Bouffes du Nord, mais un mauvais transit intestinal et certains attentats à Paris quelques mois plus tôt m’ont empêché de vivre une première fois cette expérience (ce qui me fait penser aussi que j’avais raté les 70 ans de ma mère, comme quoi). Suite à une certaine pandémie, ce projet a été réactivé cet été et la pièce a déjà été jouée dans un stade du 14e arrondissement de Paris, sur le parvis de la BNF, etc. Nous voilà donc dans un quartier que je connais bien, celui des Amandiers (dans le 20e) (pour la petite histoire, Patrice Chéreau avait mis en scène cette pièce aux Amandiers, mais de Nanterre) et plus particulièrement dans la rue des Plâtrières, non loin des Plateaux Sauvages, partenaire de ces représentations.

C’est donc casqué et masqué que nous attendons le début du spectacle. La voix si singulière d’Anne Alvaro fait son entrée dans notre cerveau. Nous ne savons pas encore où elle est. L’immersion est totale. Au début, nous sommes tout de même légèrement décontenancés par le dispositif qui voit les spectateurs suivre la comédienne comme une nuée d’abeilles. J’aurais aimé observer cette danse d’un des balcons des immeubles de la rue, comme si nous étions des morts qui marchaient. Parce que quand on enlève nos casques, nous n’entendons pas les voix des comédiennes, seulement les bruits de la ville.

Nous (quand je dis « nous », c’est moi parce que je suis plusieurs, tout le monde le sait) peinons parfois à suivre. Le texte n’est pas si évident et rester debout à mon âge canonique en cette semaine de rentrée des classes m’est pénible. Sans parler de la plus mauvaise pizza 4 fromages de tous les temps (parce que je suis celui qui lit l’entièreté de la carte avant de montrer du doigt la pizza que je prends à chaque fois – je suis d’un prévisible), ingérée juste avant et qui peine à être digérée par mon organisme (je dois avoir un truc avec mon estomac). Mais quand je dis « peiner », je ne dis pas « je pense à ma liste de commissions ou à cette fille qui ne me rappelle pas », je reste tout de même dans un état d’esprit trouble. Et je veux croire que c’est la force de tous ces spectacles et textes : nous permettre de déconnecter dans un ailleurs non quotidien, quelque part. Je ne sais pas si je suis clair.

Puis on est rattrapé par l’incandescence d’Audrey Bonnet, son investissement physique et émotionnel (malheureusement je l’ai toujours vue dans ce type de rôles), la justesse et le jeu bouleversant d’Anne Alvaro.

L’expérience fut de taille, elle fut belle et elle fut unique. Et en plus c’était gratuit et comme je suis un peu radin, ça tombait bien.

DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON

Texte Bernard-Marie Koltès
Conception, musique, mise en scène Roland Auzet

Avec Anne Alvaro et Audrey Bonnet

Vu le vendredi 4 septembre 2020 dans le quartier des Amandiers (Paris 20e) avec les Plateaux Sauvages

Prix de ma place : gratuit

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

Photo de couverture : Christophe Raynaud de Lage + Autres photos : Axel Ito

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