(quand on ne lit pas la note d’intention)
Huis-clos dans une chambre… en Inde. Pièce à un personnage qui est très malade et fait des aller-retours entre les toilettes et son lit.
(dans ma tête)
Elle : On va voir « Bharati », c’est bien ça ?
Moi : Non. « Une chambre en Inde ». Ça se passe aussi en Inde, mais ça n’a rien à voir. Y aura peut-être de la danse, qui sait ? Ce que tu vas voir, on appelle ça un spectacle total. Tout compte, le texte, la musique, le décor. Chaque chose a son importance, il y a une vraie générosité au Théâtre du Soleil.
Elle : Tu ne m’avais pas dit que c’était du cirque.
Moi : Hein ? Non, c’est pas du… Tu confonds le Cirque du Soleil qui est québécois et le Théâtre du Soleil qui est ouvert aussi sur le monde.
Elle : Quatre heures de spectacle, même avec un entracte, je ne sais pas si je tiendrai.
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La première fois que j’ai vu un spectacle du Théâtre du Soleil, c’était « Les Naufragés du Fol Espoir ». Évidemment ce n’est pas « Les Éphémères » ou un autre spectacle antérieur, mais ça m’a suffisamment marqué pour que je me passionne pour l’histoire de ce lieu, de cette troupe, d’Ariane Mnouchkine. Je me voyais déjà courir dans le bois de Vincennes avant de démarrer les répétitions avec tous les gens du théâtre. Un collectif. Même si Ariane M. a la réputation d’un tyran – j’ai vu tous les spectacles de Philippe Caubère. Tout le monde payé le même salaire. Tout le monde de corvée de chiottes.
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Ariane va arracher mon ticket, Ariane va arracher mon ticket !!! Je me demande si elle va voir mes chaussures vertes. Je sais qu’elle exige à ce que ses comédiens ne portent pas de vert, mais des spectateurs. Y a-t-il quelque part un règlement qui stipule que les spectateurs ne doivent pas porter de vert lors des représentations du Théâtre du Soleil ?
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Il y a trois jours, je m’emmerdais. Pas un jour où je m’emmerde. Ce jour-là, j’écrivis sur une feuille de papier les cinq femmes qui me faisaient rêver et avec qui je rêverais de… Je ne sais pas jamais quoi écrire… Baiser ? Faire l’amour ? Avoir des rapports sexuels ? Évidemment, je n’ai pas choisi des personnes inaccessibles, mais des artistes ou des journalistes françaises que je peux croiser par hasard dans les rues parisiennes. Trois jours plus tard, je croisai le regard au Théâtre du Soleil d’une des jeunes femmes de ma liste. Pas de petit copain à l’horizon, seulement sa famille. Une mère, un père, une soeur. Elle vit que je l’avais reconnue, c’est certain. Parce qu’elle n’est pas une chanteuse hyper connue. Parce qu’elle est une personne qui doit continuer à prendre le métro. Elle n’a qu’une trentaine de milliers de fans sur Facebook. Preuve que j’ai noté des personnes vraiment accessibles. Je ne l’ai pas abordée. Faut dire aussi que j’étais moi aussi accompagné. (cf début et fin de chronique). En revanche, je lui ai écrit un courriel. J’ai hésité deux minutes avant de le lui envoyer.
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Elle : Je t’ai entendu rire quand ils ont évoqué le nom d’Antonin Artaud. C’était qui ?
Moi : Hein ? Euh… Artaud était un poète, un homme de théâtre dans la première moitié du XXe siècle. Il était marseillais et un peu fou.
Elle : Tu es marseillais aussi.
Moi : Oui et… ?
Elle : Non, rien. C’était qui Stanislavski ?
Moi : Faut vraiment que je t’explique tout ? Ne me dis pas que tu ne connais pas Tchekhov !
Elle : …
(pas une critique)
Je n’ai jamais su écrire une critique comme il se devait. Pourtant à la fin de la pièce, j’eus des interrogations que je pus exprimer à mon interlocutrice. Je m’imaginais déjà la troupe répéter ou suivre un stage en Inde en novembre 2015 quand les événements tragiques se sont produits. Ariane M. a dû se demander ce qu’ils allaient faire. Ils ont des acteurs, des auteurs, des musiciens, un lieu prestigieux, ils se devaient de créer quelque chose, mais quoi ? La mise en abyme sur la création m’a passionné, même si pour en abuser parfois quand j’écris mes histoires courtes, je perçois cela comme une béquille : « Je n’ai pas d’idées, donc je vais parler de quelqu’un qui n’a pas d’idées. » J’ai vu un spectacle crépusculaire, comme on avait dit pour le dernier album de Leonard Cohen. Ariane M. approche les quatre-vingts ans. Même si elle reste vaillante, dans son jogging et ses baskets, un spectacle et une structure d’une telle ampleur ne doivent pas être des choses aisées à diriger. On y voit toutes ses influences, ses frustrations, son impuissance de ne pas avoir présenté tel ou tel texte. Je me suis interrogé sur le regard cynique que je peux avoir sur le monde, que j’étais envieux de la naïveté affichée à la fin du spectacle. La standing ovation, je l’ai gardée pour Ariane M., comme pas mal de monde. Pas pour ce spectacle, mais pour l’ensemble de sa carrière. Je suis toujours mal à l’aise face à l’enthousiasme disproportionné du public. Comme si on n’avait pas le droit de ne pas, de moins apprécier le nouveau spectacle d’un artiste qu’on apprécie. Je regrette le manque de lucidité. J’adore Caubère, par exemple, ce type m’inspire, mais je l’ai vu rater une de ses représentations, je ne me suis pas levé.
Une Chambre en Inde
d’Ariane Mnouchkine
au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes
26 novembre 2016.
Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito