La Vallée de l’Étrange (Rimini Protokoll / Centre Culturel Suisse)

(de quoi ça parle en vrai)

« Lorsqu’elle est trop grande, la ressemblance entre robot et humain éveille la méfiance. Elle met en doute la limite qui distingue encore l’individu de la machine et, ainsi, les certitudes qui définissaient jusque-là notre humanité. Cette zone, que le professeur de robotique japonais Masahiro Mori a qualifiée de « vallée de l’étrange » (uncanny valley), constitue le point de départ de la pièce. Le robot androïde prend la place de l’auteur, s’adresse au public et soulève de très troublantes questions à travers sa propre histoire et celle d’Alan Turing, père de l’intelligence artificielle. Et nous, spectateur.trice.s, à quoi assistons-nous? Et finalement, qu’est-ce qui fait de nous des humains? » (source : ici)

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Photo de couverture : Gabriela Neeb – Photo ci-dessus : Axel Ito

(ceci n’est pas une critique, mais…)

Deuxième rang, côté cour. L’écrivain Thomas Melle est déjà sur scène, bien installé dans son fauteuil. Lumières. Il est bizarre, Thomas Melle. Peut-être parce que ce n’est pas tout à fait l’écrivain allemand mais un robot. Avec des fils qui lui sortent de derrière la tête. On se demande d’abord si c’est un vrai robot, si la sueur dans son cou est factice. Si un acteur est maquillé comme un robot qui représente lui-même un humain, mais non.

Le robot nous parle. Et nous l’écoutons. Peut-être parce que nous sommes conditionnés comme spectateurs à le faire sans rechigner (ou presque). On voit les coutures, on devine que le budget consacré à l’animatronique n’était pas illimité, alors qu’aujourd’hui des robots humanoïdes peuvent être bien plus réalistes (oh le bruit de fond de la machine). Et pourtant, comme dans un spectacle avec des acteurs qui font semblant, on est tout de même dedans. Certes, les comédien-nes ont encore de beaux jours devant eux et d’ailleurs, à mon humble avis, le Rimini Protokoll n’a pas tenté de prouver qu’ils étaient déjà remplaçables (la voix de l’écrivain-robot allemand est même doublée). L’objet de la pièce est tout autre.

L’humain doit prouver qu’il n’est pas un robot (CAPTCHA, ça te dit quelque chose ?). L’humain ne peut plus vivre sans une aide artificielle. L’humain. Le robot. Le robot. L’humain.

Il me plait à repenser à ce film de Harold Ramis « Multiplicity » dans lequel Michael Keaton laissait ses clones travailler, passer la tondeuse, aller chercher les enfants…

« Si je pouvais fonctionner grâce à la technologie, est-ce que je perdrais mon humanité ? »

Je pense tout haut. Parfois, j’aimerais être comme cet homme, doté d’un appareil auditif, directement relié à son cerveau, et qui l’éteint quand bon il lui semble. Pour mieux dormir. Pour moins subir.

La force de ce spectacle est qu’il est finalement plus passionnant après que pendant, par toutes les interrogations qu’il suscite.

C’est un robot qui a écrit ces quelques phrases, d’après tout ce que j’ai déjà écrit. Merci à lui.

 

LA VALLÉE DE L’ÉTRANGE (Uncanny Valley)

Conception, réalisation, mise en scène : Stefan Kaegi 

Conception, corps, voix : Thomas Melle 

Dramaturgie : Martin Valdés-Stauber – Production animatro-nique : Chiscreatures Filmeffects GmbH – Production et finition de la tête en silicone : Tommy Opatz – Vidéo : Mikko Gaestel – Lumières : Robert Läßig, Martin Schwemin, Lisa Eßwein – Son, design vidéo : Jaromir Zezula, Nikolas Neecke – Équipement : Evi Bauer

du 5 au 8 février 2020 à la Villette (Paris), puis à Besançon

 

(une autre histoire)

L’été dernier, j’ai croisé une ancienne connaissance qui fait du théâtre, qui écrit aussi pour le théâtre mais qui ne connaissait pas le travail de Tiago Rodrigues. Cela me paraissait inconcevable d’aimer le théâtre et de ne pas s’intéresser à un des metteurs en scène européens les plus en vue (bon, Tiago n’est pas Ivo (Van Hove) ou Thomas (Ostermeier), mais quand même).

Ce soir, devant le Centre Culturel Suisse, après la représentation, je salue un comédien et metteur en scène, qui dirige des ateliers amateurs avec d’autres membres de sa compagnie (j’avais suivi un de ces ateliers, mais pas le sien durant deux ans). Il me donne son avis sur ce qu’on vient de voir (il souligne le côté anecdotique de l’entreprise (« Le robot a quand même des ratés… On voit que c’est fake ») Je lui parle de la similitude des sujets avec « Contes et légendes » de Joël Pommerat, mais avec des vrais acteurs qui font des robots plus vrais que nature. Il répond :

– Contes et légendes de quoi, de qui ?

– Contes et légendes tout court, de Pommerat.

– Ah bon, il fait une nouvelle pièce ? Je n’ai vu que Cendrillon. J’aime ce qu’il écrit, on s’en sert beaucoup pour nos ateliers.

– Je me souviens, j’avais vu ton adaptation de la Réunification des Deux Corées il y a deux ans.

Au risque de paraitre terriblement snob, j’ai en face de moi un gars qui s’enorgueillit de monter des textes de Pommerat dans son atelier, qui n’a vu qu’une seule de ses pièces et qui ne sait même pas qu’un de mes metteurs en scène préférés est de retour sur les planches avec sa nouvelle création. Je ne comprends pas.

 

Vu le samedi 1e février 2020 au Centre Culturel Suisse (Paris) dans le cadre de la Biennale Némo

Prix de ma place : 5€ (tarif adhérent Festival d’Automne)

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

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