Sopro

(quand on ne lit pas la note d’intention)

Suite théâtrale du film « Narco » avec Guillaume Canet. Cette fois-ci, le personnage principal, affublé d’un défaut de prononciation, tentera de ne pas s’endormir et ne de ne pas endormir ses amis, d’où le titre SOPRO(rifique) (j’ai honte, pardon)

(ce que ça raconte en vrai)

Quand le théâtre serait en ruines, quand ne resterait rien des murs, des bureaux, des coulisses, des machines, du décor, quelqu’un subsisterait : le poumon du lieu mais aussi du geste théâtral, le souffleur. Les voix, les sons, les musiques qui d’habitude habillent la scène sont maintenant en retrait et la respiration du théâtre entier, ce que personne n’entend, pour une fois, est devant. Gardienne de la mémoire et de la continuation, une femme a passé toute sa vie dans ce bâtiment où chaque jour on a joué, où on s’est réuni. Ce soir, elle souffle ses histoires, des vraies, des fausses, toutes écloses au théâtre. Elle est à vue, en scène. Tiago Rodrigues sort de sa boîte, de sa « maison », ce métier en voie d’extinction et convainc celle qui n’a toujours eu que le bout des doigts sur scène de venir « souffler » une époque disparue. Entrant par elle dans l’âme et la conscience d’un endroit à part, il tente de comprendre comment ce lieu respire et adopte son rythme. En un même mouvement, les comédiens donnent leur timbre au murmure des fantômes que la souffleuse exhale. On en vient à avant ; avant que le texte existe, avant que la voix porte, dans un jeu d’avant-jeu où le théâtre prend sa grande inspiration. (site du festival d’Avignon)

 

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Crédits photo : Filipe Ferreira (couverture : Christophe Raynaud de Lage)

 

(ceci n’est pas une critique mais…)

J’ai les glandes lacrymales qui fonctionnent à merveille, je vous remercie de vous inquiéter et ce n’est pas le vent qui a causé toutes ces larmes dans mes yeux. Avant même que la pièce ne commence, j’étais dans cet état-là. On vient à Avignon aussi (et surtout) pour cela. Assister à une représentation dans un magnifique écrin, ici le Cloître des Carmes. Et le vent était aussi de la partie. Quoi de plus normal pour une pièce qui s’appelle « Sopro », Souffle en français. Voir ces vieilles pierres, les tentures se lever au gré du vent, leurs mouvements. Observer aussi les acteurs jouer avec cet élément indiscipliné et un peu farceur. Je m’arrêterai là quant à ma non-critique. Je me posais la question : admirer quelqu’un qu’on a eu la chance de côtoyer pendant de longues semaines empêche-t-il d’être objectif ? (j’ai participé durant le printemps 2016 à l’Occupation Bastille menée par Tiago Rodrigues dans le théâtre du même nom). Ceci dit, je dirai quand même que cet état d’émotion m’est resté tout au long de la pièce. Croiser le regard d’Isabel Abreu m’a décontenancé, revoir les acteurs de « Antoine et Cléopâtre » m’a contenté, suivre le parcours de la souffleuse Cristina Vidal m’a ému. Je ne dis pas que je connais bien Tiago Rodrigues, ça ne serait pas vrai. Mais pour avoir vu chacune de ses pièces présentées en France depuis « By Heart », pour l’avoir entendu s’exprimer de longs moments, j’ai aimé retrouver des petites touches de l’Occupation Bastille (les mémoires de spectacles), de son amour pour le théâtre (les textes mais aussi les gens qui y travaillent), de sa bienveillance, de sa poésie. J’ai aimé la mise en abyme (« je mets en scène le metteur en scène qui veut mettre en scène la souffleuse ») alors que cela aurait pu paraitre prétentieux, si pas bien fait ; j’ai aimé la fin à tiroirs, parce qu’on n’a pas envie de partir non plus. Sopro, meilleur spectacle de la saison 2018/2019, car je le reverrai, assurément. (et je sais que je ne réponds pas à ma question, quant à l’admiration et l’objectivité)

 

Vu le 15 juillet 2017 au Cloître des Carmes dans le cadre du Festival d’Avignon.

Prix de la place 25,20€ (et un grand merci à Xavier qui m’a revendu une de ses places et grâce à qui j’ai pu voir cette merveille qu’est Sopro) (et je ne remercie pas la billetterie en ligne du Festival d’Avignon pour avoir magnifiquement planté le jour d’ouverture) (je ne remercie pas non plus mon manque de patience et ma non – persévérance)

 

Sopro

écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues

avec Isabel Abreu, Beatriz Bras, Sofia Dias, Vitor Roriz, Joao Pedro Vaz, Cristina Vidal

Création son : Pedro Costa – Création Costumes Aldina Jesus, Assistante  mise en scène : Catarina Rolo Salgueiro – Scénographie et lumières : Thomas Walgrave

Production : Teatro Nacional Dona Maria II

Au Teatro Nacional Dona Maria II (Lisbonne) du 2 au 19 novembre 2017 et au Parvis Scène nationale de Tarbes le 13 mars 2018, au Festival Terres de paroles en avril 2018, au Théâtre national de Toulouse (avec le Théâtre Garonne) du 19 au 22 juin 2018. Au Théâtre de la Bastille (Paris) et à la Criée (Marseille) en 2018/2019.

 

(une autre histoire)

Juillet 2001

Simon me propose de jouer dans le Off du Festival d’Avignon dans sa première mise en scène, une adaptation des poésies d’Alvaro de Campos et de la prose de Bernardo Soarès, Fernando Pessoa, quoi. Je ne sais pas encore que seize ans plus tard (mieux vaut tard que jamais), je le chercherai dans tout Lisbonne comme le personnage dans Nocturne Indien d’Antonio Tabucchi (hautement inspiré par Pessoa) se recherchait lui-même en Inde. Pessoa… Personne. Je découvre une autre facette d’Avignon. Je partage un studio avec Mathilde. Je bois des coups avec Olivier et Chloé. Je répète avec Sylvie. Le Off n’était pas aussi énorme qu’aujourd’hui. J’assiste à mon premier spectacle dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes (« Je Suis Sang » de Jan Fabre, dont je vais voir cet automne le Mont Olympus à la Grande Halle de la Villette). Je vais au cinéma, parce que le théâtre me fatigue un peu : c’était le temps où le Palace était encore un cinéma et non un multiplexe consacré au café théâtre et au one man show. Je découvre pour de bon François Truffaut, Jean-Luc Godard, la Nouvelle Vague grâce à Sylvie 2. Je recueille Anne-Marie un soir d’orage, profitant de l’absence de Mathilde. Nous jouons devant une personne, devant trente-huit personnes. Je revois Amélita (la première à m’appeler Axelito) : « Je crois qu’on se connait… », j’arrive au théâtre quinze minutes avant de jouer et fais comme si de rien n’était, fonctionnaire du théâtre que je devins. Je mange une seule fois de la viande de tout le mois. On se baigne dans le Gardon les jours de relâche. Je promène encore mon personnage de Candide. Un peu imposteur, c’est ce que je crois. Je ne suis pas un vrai comédien, je fais des études sérieuses. Je ne me souviens même plus si mes amis sont venus me voir jouer. « Lorsque les dernières gouttes de pluie ralentirent leur chute sur les toits… » , c’était ma première phrase.

Avril 2017 : Je bois une bière dans le hall du Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne, je discute avec Tiago et Magda. C’est juste après le phénoménal « Bacantes » de Marlene Monteiro Freitas (prochainement au Festival d’Automne au Centre Pompidou et à Montreuil). Les gens me demandent pourquoi Lisbonne. Beaucoup pensent que c’est à cause de l’Occupation Bastille et de Tiago Rodrigues. Mais surtout parce qu’en juillet 2001…

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito