La Mouette

(quand on ne lit pas la note d’intention)

« La Muette » est une pièce dans laquelle des personnages se croisent et se séparent devant la station de métro parisien du même nom. Le quiproquo central, qui donne le titre à la pièce, vient d’un personnage d’origine belge qui n’arrive pas à se faire comprendre quand il demande son chemin : « Où se trouve la station de la Mouette ? »

(dans ma tête)

Le metteur en scène, le scénographe (sont-ce peut-être la même personne, je le répète, je n’ai pas lu le programme) ont décidé d’adopter un dispositif quadrifrontal diagonal. On oublie la bonne vieille scène, le proscénium (j’aime apprendre des nouveaux mots), les sièges rouges de la salle d’en bas du théâtre de la Bastille. Nous avons des chaises pliantes disposées aux quatre coins de l’espace. Par rapport à l’entrée, je me place à l’opposé, contre le grand mur de la scène, avant qu’elle ne soit démontée. Ça me rappellera des souvenirs.

Avant la pièce, j’ai bu deux bières, des demis, avec une de mes innombrables conquêtes dont je ne me souviens déjà plus du prénom. Je n’ai pas assez répété son prénom quand je m’adressais à elle. C’est comme ça que je retiens.

La Mouette, ça va, je connais, j’ai déjà vu au moins deux versions, Benedetti (la meilleure à mon sens), et celle d’Ostermeier. La première fille avec qui je suis sorti de toute ma vie avait même joué une scène de cette pièce lors de la colonie durant laquelle nous nous étions rencontrés (phrase lourde). Me vient l’envie de pisser. La pièce vient à peine de commencer et j’ai envie d’évacuer le contenu de ma vessie. D’habitude j’y pense avant, je me rends toujours aux toilettes des handicapés. Il n’y a jamais d’handicapés de toute façon qui viennent aux représentations. Et s’il y en a un qui me dit quelque chose, je lui dirai que j’ai une petite bite qui m’empêche de viser l’urinoir. (une information sur les deux que vous venez de lire est vraie) Bordel de purée de foutre. Je me serais placé sur le côté, près de l’entrée comme l’amie L., je me glisserais subrepticement, comme une ombre, vers la sortie et peut-être même que je reviendrais me rassoir ni vu ni connu. Mais là, je ne peux décemment pas dire aux comédiens : « Je vous prie de bien vouloir m’excuser du dérangement, je dois aller au pipi room, mais vraiment parce que j’ai envie de faire pleurer Popaul. Je ne me fais absolument pas chier. » Alors je me tords, j’essaie de penser à autre chose. C’était Billy Wilder qui disait : « L’autre jour, je me suis rendu à l’opéra, le spectacle démarrait vers 21h. Deux heures plus tard je regarde ma montre, il était 21h15. » Il disait cela approximativement. C’est mon adaptation, c’est ma traduction. Parfois, quand je suis chez mes parents et que j’ai la flemme de descendre l’escalier jusqu’aux toilettes, je fais pipi dans une petite bouteille d’eau vide de 50cL. Il m’arrive d’uriner plus de cinquante centilitres. Je pose ça là et vous y réfléchirez plus tard. Mais là, pas de bouteille, pas d’alternative que… J’ai réussi à inverser le flux. Mon pipi est revenu de mes entrailles jusqu’à ma gorge et mes lèvres pour redevenir de la Grimbergen. Jésus transformait l’eau en vin, je régurgite de la bière. Heureusement dans les accessoires présents sur scène figurait une grande carafe que j’ai subtilisée et que j’ai utilisée pour me vider de tout fluide à base de houblon. Le public était bien trop concerné par ce qu’il se passait à l’opposé de ma position. Je me sortis comme un grand de cette histoire rocambolesque.

L’histoire ne dit pas pourquoi deux des comédiens furent envoyés aux urgences de la Pitié Salpétrière plus tard dans la soirée.

La Mouette

d’après la pièce de Anton Tchekhov

Mise en scène : Thibault Perrenoud

Avec : Marc Arnaud, Mathieu Boisliveau, Chloé Chevalier, Caroline Gonin, Éric Jakobiak, Pierre‑Stefan Montagnier, Guillaume Motte, Aurore Paris.

au Théâtre de la Bastille, Paris.

(ce que ça raconte en vrai)

« Figurez-vous que j’écris une pièce, que je ne finirai pas, là non plus, avant la fin novembre. Je l’écris non sans plaisir, même si je vais à l’encontre de toutes les lois de la scène. Une comédie, trois rôles de femmes, six d’hommes, quatre actes, un paysage (une vue sur un lac) ; beaucoup de conversations sur la littérature, peu d’action, une tonne d’amour. » (Extraits de la correspondance de Tchekhov avec A.S. Souvorine, traduction d’André Markowicz)

(pas une critique)

J’ai tout de même lu la note d’intention et je lis qu’il s’agit d’une nouvelle traduction. Mais il y a quelque chose que je voudrais comprendre. Le traducteur ne parle pas russe (sauf preuve du contraire) mais anglais. Le texte que nous entendons est la nouvelle traduction de la traduction anglaise. Si je ne m’abuse, Tchekhov a écrit sa pièce en russe, non ? Il ne nous fait pas chier (excusez mon français) avec des noms russes à rallonge dont on ne se souvient jamais si c’est pour écrire en anglais. Ça me fait penser au téléphone arabe. Imaginons qu’un metteur en scène allemand ou espagnol soit fasciné par cette nouvelle version et décide de faire sa propre traduction du texte français de Clément Camar-Mercier. Qui nous dit que, si on compare la nouvelle traduction avec le texte original, les deux pièces ne seront pas aux antipodes l’une de l’autre des intentions de l’auteur russe ? Attention, je ne critique pas le texte qui est de bonne facture. Je m’interroge seulement sur le procédé. Tout comme ces metteurs en scène qui co-signent les traductions de textes suédois ou autres langues exotiques, si ce n’est pour empocher les droits d’auteur liés à la dite traduction, alors qu’ils ne parlent même pas la langue. Mais je fais là peut-être un mauvais procès d’intention. Ceci n’était définitivement pas une critique (de la pièce).

6 mars 2017

crédit photo : Clément Camar-Mercier

Textes (sauf mention contraire) : Axel Ito

 

LA MOUETTE (TRAILER) from Kobal’t on Vimeo.

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